dimanche 9 septembre 2012

Où va le genre? Le retour de l'homme nouveau


         Nous aurons l’occasion de revenir sur les travaux de Donna J. Haraway, féministe américaine qui détient une chaire d'histoire de la conscience à l'Université de Californie à Santa Cruz et qui est aujourd’hui, avec Judith Butler, une des principales théoriciennes des "gender studies". En attendant d’en dire plus, nous donnons ici quelques extraits du « Manifeste cyborg » qui expose le projet de subversion technologique des genres, défendu par Donna Haraway, en proposant en regard, quelques textes qui éclaire à leur manière le « transhumanisme » de cette "historienne de la conscience".

Un manifeste cyborg

« Le sexe cyborgien fait revivre quelque chose de la ravissante liberté réplicative des fougères et des invertébrés (quelle délicieuse prophylaxie naturelle contre l’hétérosexisme). La réplication du cyborg a divorcé de la reproduction organique. La production moderne ressemble à un rêve de travail accompli dans un monde colonisé par les cyborgs, un rêve à côté duquel le cauchemar du Taylorisme paraîtrait idyllique. […]Je plaide pour une fiction cyborgienne qui cartographierait notre réalité corporelle et sociale, une ressource imaginaire qui permettrait d’envisager de nouveaux accouplements fertiles. […]La fin du XXe siècle, notre époque, ce temps mythique est arrivé et nous ne sommes que chimères, hybrides de machines et d’organismes théorisés puis fabriqués ; en bref, des cyborgs. Le cyborg est notre ontologie ; il définit notre politique. […]Le cyborg est une créature qui vit dans un monde post-genre ; il n’a rien à voir avec la bisexualité, la symbiose préœdipienne, l’inaliénation du travail, ou tout autre tentation de parvenir à une plénitude organique à travers l’ultime appropriation du pouvoir de chacune de ses parties par une unité supérieure. Le cyborg n’a pas d’histoire de ses origines au sens occidental du terme – ultime ironie puisqu’il est aussi l’horrible conséquence, l’apocalypse finale de l’escalade de la domination de l’individuation abstraite, le moi par excellence, enfin dégagé de toute dépendance, un homme dans l’espace. »

Donna Haraway. "Simians, Cyborgs, and Women, The reinvention of nature". Routledge NY. 1991. Première publication " Manifesto for Cyborgs : science technology, and socialist feminism in the 1980’s" Socialist review 80 (1985). Trad.: : Marie Héléne Dumas, Charlotte Gould, Nathalie Magnan. © Ecole Nationale Supèrieure des Beaux-arts, Paris 2002. http://www.larevuedesressources.org/cyborg-manifesto-un-manifeste-cyborg,2318.html





La réinvention de la nature

« Pourquoi la NSF [1], puissante institution américaine qui emploie 1 360 personnes, confie-t-elle sa stratégie technologique à un spécialiste des phénomènes de manipulation mentale et d’adhésion des foules ? Serait-ce pour mieux anticiper d’éventuelles contestations de la société civile ? On ne peut l’exclure tant on constate l’implication de chercheurs en sciences humaines dans la promotion des technosciences et plus particulièrement des sciences cognitives. Patricia Churchland avec la neurophilosophie forgée autour du co-découvreur de la structure de l’ADN, Francis Crick [2], l’historienne Donna Haraway et son “ cyborg manifesto ” pour la “ réinvention de la nature ” [3] ou encore l’économiste Robin Hanson, entendent abolir les frontières entre le vivant et l’inerte, entre la machine et l’humain, entre le masculin et le féminin, et proclament qu’il faut construire des “ corps nouveaux ” pour une “ vie nouvelle ”.
Ce mouvement apparaît comme la suite logique des thèses cybernétiques pour lesquelles le réel et le virtuel se confondent par la réduction successive des objets physiques puis biologiques à des principes informationnels. Comme l’explique l’historienne américaine Lily Kay (Harvard), le code génétique est devenu après-guerre le centre métaphorique de commande et de contrôle des êtres vivants [4]. Dans son ouvrage récent sur “ L’empire cybernétique ”, la sociologue Céline Lafontaine (Université de Montréal) précise : “ La cybernétique place non seulement les notions de communication et de contrôle au cœur de son projet, mais elle rend effectif le passage de la physique à la biologie en annulant toute distinction entre vivant et non-vivant. ” Avec les cyborgs, les biobots, “ on fait littéralement face à la mise en chair des métaphores cybernétiques (...) ”. Puis de commenter : “ Ce qui est oublié dans cette indifférenciation entre les êtres et les choses, c’est le fondement corporel inaliénable de toute vie terrestre. Le réductionnisme informationnel revient à nier que les êtres vivants sont d’abord des unités synthétiques indécomposables en segments codés. ” [5]. »

Dorothée BENOIT BROWAEYS. Journaliste à Paris ©Vivant Editions





Une conception nouvelle de la vie

"Imbéciles, ne voyez-vous pas que la civilisation des machines exige en effet de vous une discipline chaque jour plus stricte ? Elle l'exige au nom du Progrès, c'est-à-dire au nom d'une conception nouvelle de la vie, imposée aux esprits par son énorme machinerie de propagande et de publicité. Imbéciles ! Comprenez donc que la civilisation des machines est elle-même une machine, dont tous les mouvements doivent être de plus en plus parfaitement synchronisés !"

Georges Bernanos La France contre les robots (1944) - Pléiade, p. 989





[1] « National Science Fondation ». L’équivalent américain du CNRS
[2] B. Andrieu (1998) La neurophilosophie PUF, Paris.
[3] D.J. Haraway (1991) Simians, Cyborgs and Women. The Reinvention of Nature, New York, Routledge.
[4] L.E. Kay (2000) Who Wrote the Book of Life : A history of the Genetic Code, Stanford University Press.
[5] C. Lafontaine (2004)L’empire cybernétique, des machines à penser à la pensée machine Seuil, Paris.

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