mardi 5 mars 2013

Marcela Iacub, Charles Fourier, et le Service Public Sexuel. (2)


            Le droit au sexe assuré par un service public gratuit permettrait aux uns de bénéficier du privilège de forcer les autres à payer pour qu'ils s'ébattent à moindre frais, expliquions-nous. A moins que... A moins qu'il n'y ait pas besoin de payer : « Tout un chacun devrait pouvoir offrir ses services de temps en temps tout en sachant qu’un jour chacun pourrait aussi y faire appel. Et l’on ne dirait pas que ces donneurs se vendent, qu’ils échangent leurs faveurs contre de l’argent ou qu’ils ne consentent pas à de tels rapports. » explique Marcela Iacub.
            On peut envisager deux raisons pour lesquelles il n'y aurait pas à payer des prostitué(e)s. La première consiste à prendre encore plus au sérieux l'idée des droits-créances qu'on ne l'a envisagé dans la première partie de cet article : il n'y aurait pas besoin de les payer parce qu'ils seraient enrôlés de force. Ce serait les prestataires de services sexuels eux-mêmes qui « paieraient » de leur chair. Cette solution esclavagiste du sévice public sexuel n'est manifestement pas ce que Iacub a en tête (le « droit à » être servi par des esclaves est difficilement universalisable, soit dit en passant), sans quoi elle n'utiliserait pas l'analogie du service public existant du don du sang, basé sur le volontariat. Il aurait dans ce cas plutôt fallu utiliser celle du service militaire ou civil obligatoire.

            L'autre possibilité est qu'il y aurait simplement assez de volontaires pour s'offrir gratuitement. C'est ce fouriérisme qui emporte la conviction de Iacub : « cette sexualité serait mue par la bonté et la générosité, motivations encore plus dignes que la réciprocité du désir lui-même. Les candidats et candidates à un tel don de soi ne manqueraient guère, même s’ils ne ressemblaient pas du tout aux personnes qui se prostituent aujourd’hui. » Autrement dit, le service public gratuit, à l'image des phalanstères de Fourier ou de la phase supérieure de la société communiste de Marx, éliminerait la rareté, caractéristique de l'ordre bourgeois.



            Le problème avec les utopistes est qu’ils résolvent les problèmes en formulant des solutions qui les évacuent par hypothèse. Dans la réalité, il ne suffit pas de fermer les yeux et d'y croire à mort pour que la rareté disparaisse comme par enchantement sous prétexte qu'on entre dans un phalanstère ou qu'on instaure un « service public » (pourquoi ne pas inscrire le droit au sexe dans la constitution pendant qu'on y est?). Aujourd'hui, le gouvernement n'interdit à personne de s'offrir gratuitement à n'importe qui d'autre. Les gens sont libres de satisfaire les désirs insatisfaits. Pourtant, Iacub se préoccupe d'une demande de services sexuels à pallier en cas d'interdiction de la prostitution. C'est bien qu'il ne doit pas y avoir suffisamment de nymphomanes pour rassasier tout le monde, sans quoi cette demande n'existerait pas. Aussi, on voit mal pourquoi ceux et celles qui aujourd'hui manquent de « bonté » et de « générosité » en refusant de coucher avec n'importe qui deviendraient tout d'un coup volontaires.
            C'est pourtant bien ce que suppose Iacub: si on instaure un service public gratuit et monopolistique du sexe, les récalcitrants vont oublier leur égoïsme et s'offrir gratuitement sous prétexte que leur employeur serait le gouvernement. Et puisque le critère décisif semble être celui-ci, il n'y a pas de raison à lire Iacub qu'il en aille différemment dans d'autres services publics. Alors que les gens travaillent normalement dans le privé pour un salaire, si on leur propose de travailler pour un service public, pouf, ils seront prêts à travailler gratuitement, le dévouement le plus total à leur mission leur suffisant. Les employés des hôpitaux publics, de la SNCF, etc., apprécieront...



            Iacub ne nous explique pas comment un tel miracle aurait lieu, mais on peut en retrouver l'origine chez Fourier. Le travail est cette activité qu'on fait non pour elle-même mais pour la satisfaction apportée par son produit. Dans le jargon des économistes, le travail lui-même est source de « désutilité », qu'on ne surmonte que pour la satisfaction médiate qu'il fournit. (cf. Mises 1966, L'action humaine, pp. 681-685) Les utopistes comme Fourier et Marx ont simplement supposé que dans leur système idéal, il n'y aurait plus de désutilité du travail. Chacun accomplirait à peu près toutes les tâches chacun son tour -il n'y aurait pas de spécialisation marquée- et cela ne pourrait le mettre qu'en joie. C'est la seule manière fouriériste d'expliquer la prétendue absence de nécessité pour les prostitués d'être payés pour travailler et le fait que les « candidats ne ressembleraient pas du tout à ceux qui se prostituent aujourd'hui ». La différence pour Iacub est que cette caractéristique espérée du phalanstère de Fourier serait réalisable dans le cadre du service public contemporain.
            De la même manière que contrairement à ce qu'en disait Fourier, les planètes n'ont pas d'organes reproducteurs et l'eau de mer ne prendra pas un goût de limonade sous l'effet de changements sociaux (Théorie des quatre mouvements et des destinées générales, p. 160), la désutilité du travail ne relève certainement pas d'un cadre institutionnel particulier mais de la condition humaine. Par conséquent, il ne saurait être question que les gens se prostituent volontairement et gratuitement pour l'Etat, ne fût-ce que pour quelques fois seulement dans l'année (chacun son tour), simplement parce qu'il serait décrété que c'est une mission de service public. 

Xavier Méra

(à suivre)

Cet article a été repris dans son intégralité sur Contrepoints.


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