mercredi 6 mars 2013

Marcela Iacub, Charles Fourier, et le Service Public Sexuel. (3)



            Comment un Service Public Sexuel gratuit fonctionnerait-il réellement si le gouvernement s'inspirait des « idées si socialistes, si généreuses » -dixit Marcela Iacub- de Charles Fourier sur la « solidarité sexuelle socialement organisée »? Si le plan Iacub devait être pris au pied de la lettre, on aurait de facto affaire à une interdiction de la prostitution (c'est-à-dire à l'inverse de ce qu'elle a prôné par ailleurs). En effet, non seulement l'exercice de la profession dans le secteur privé serait interdit mais l'exercice dans le secteur public aussi puisque les « prostitués » n'y seraient pas payés. Et si les ébats n'étaient pas tarifés, il ne s'agirait pas à proprement parler de prostitution. Ce n'est pas qu'une question de sémantique : le service public serait une coquille vide car seuls quelques nymphomanes statolâtres viendraient offrir leur service.




            En effet, la prohibition revient à imposer un prix maximum nul aux transactions. S'il est une chose connue en économie, c'est que des prix maximums fixés en dessous des prix d'équilibre provoquent des pénuries. A un prix nul, la demande de service est aussi haute que les désirs insatisfaits le rendent possible et l'offre est au plus bas. Bref, la pénurie est au plus haut. Iacub ne l'a peut-être pas remarqué mais en ce qui concerne son service public de référence, le don du sang, on nous rappelle régulièrement dans les médias que les donateurs manquent. Sachant d'une part que le « don de soi » impliqué dans ce cas est certainement perçu par la plupart des gens comme moins coûteux psychologiquement et plus valorisant que de coucher gratuitement avec n'importe quel inconnu et, d'autre part, que la demande de sang est normalement limitée aux cas d'hospitalisations et de traitements médicaux requérant des transfusions, la pénurie devrait être permanente et bien plus forte dans le cadre du service public sexuel.


            La demande insatisfaite de services sexuels dont se préoccupe Iacub ne serait donc pas palliée du tout mais plus frustrée qu'aujourd'hui. Elle ne le serait pas complètement cependant puisqu'à moins de condamner les contrevenants à la peine de mort et/ou d'embaucher une grande partie de la population dans une police dédiée, une offre illégale subsisterait, comme la théorie et l'expérience des prix maximums légaux le montrent. Mais l'offre serait inférieure, les professionnels n'acceptant de travailler qu'à la condition de toucher une prime de risque légal. La rareté serait donc accrue, les prix plus élevés et/ou le service de moindre qualité. Les conditions de travail des professionnels seraient aussi sordides que la nécessité de se cacher et de fréquenter les spécialistes des activités illégales, tenant d'habitude les lieux clandestins de prostitution, l'exige (il faut se rappeler par exemple que la mainmise des mafias sur l'industrie de l'alcool aux États-Unis n'est apparue et a disparu qu'avec le régime prohibitionniste). Cet état de fait existe bien sûr déjà dans une certaine mesure, du fait des restrictions légales existantes.


            Si on devait prendre au sérieux la proposition du service public sexuel donc, il faudrait reconnaître les implications du fait que Fourier divaguait et que le service public pas plus que le phalanstère n'attirerait des travailleurs s'ils ne sont pas payés. L’État devrait ainsi être proxénète et payer des prostitués pour remplir sa « mission de service public ». Cependant, à moins de mobiliser une quantité délirante de ressources, il y aurait toujours pénurie puisque la demande légale serait gonflée à bloc par la gratuité décrétée. Les citoyens auraient alors droit à une bonne dose de paperasse administrative et à des tickets de rationnement ou autres dispositifs équivalents leur permettant occasionnellement de jouir de leur « acquis social ». La pénurie et le processus d'attribution des tickets seraient l'occasion pour les administrateurs du système d'arrondir leurs fins de mois grâce aux usagers prêts à payer pour passer devant les autres dans la file d'attente.




            Les autres usagers n'étant pas des clients à choyer mais une source d'embarras étant donné l'incapacité du service public à satisfaire la totalité de la demande, ils seraient traités comme telle. D'autant que le caractère monopolistique et le financement complet du service public par les contribuables garantiraient que plus personne parmi les prestataires ou administrateurs ne serait financièrement affecté s'il maltraitait les usagers. Sujets comme tout le monde à la désutilité du travail mais dans la position de facturer les prestations à des tiers sans leur consentement, il s'agirait d'en faire le moins possible en faveur des « ayant droits ». Autrement dit, pour une allocation des ressources données, la qualité et/ou la quantité de la production des prostitués-fonctionnaires seraient moindres. Étant donné l'absence de sanction financière de la part de consommateurs (sauf cas de corruption impliquant les usagers), les compétences requises pour améliorer sa situation et ses revenus en tant qu'employé du service public seraient plutôt une habileté à écraser ses collègues dans les intrigues de bureau et à rendre service aux personnes qui comptent dans la hiérarchie.


            Pour en terminer avec notre liste non exhaustive de conséquences du service sexuel public, si certains bénéficieraient bien d'effets redistributifs en tant que producteurs ou consommateurs (la minorité d'usagers qui obtiendraient effectivement ce qu'ils voulaient à moindre frais), l'allocation des ressources serait de toute façon arbitraire du point de vue de la plupart des membres de la société en tant que consommateurs. Car sans l'aiguillon des pertes et profits qu'ils infligent aux entrepreneurs dans un cadre marchand, ils n’auraient pas moyen de sanctionner l'allocation des ressources en fonction de ce qu'ils considèrent être leurs besoins les plus urgents, qu'il s'agisse de logement, de soins de santé, de services sexuels ou de cours de violons. (cf. Mises, L'action humaine, pp. 337-342) Même si les gouvernants en charge de décider des budgets à allouer au service public du sexe -et ses administrateurs en charge de décider de ce qu'on en fait précisément- n'étaient intéressés que par le bien-être de leurs administrés, ils n'auraient pas moyen de savoir si, de leur point de vue, ils produiraient trop ou pas assez dudit service public et mobiliseraient en conséquence trop ou pas assez de ressources rares pouvant être employées à la production d'autres biens et services plus ou moins urgents.


            Contrairement à ce que suggère Marcela Iacub, l'instauration d'une prohibition de la prostitution privée et la création d'un service public sexuel de substitution ne feraient pas figure « d'antidépresseur » dans ces temps de crise économique. Elles constitueraient au contraire un facteur d'appauvrissement et une source de conflits supplémentaires. Ce que l'analyse économique permet ainsi de prédire quant à l'instauration d'un tel service public n'est pas simplement son efficacité pour le moins douteuse à réduire la misère sexuelle qui préoccupe tant Marcela Iacub (si tant est que la prostitution pourrait la réduire, hypothèse psychologique pas tout à fait évidente). C'est surtout que l'organisation de la production en service public elle-même, quels que soient les biens et services concernés, est un facteur d'appauvrissement relatif des masses au seul bénéfice d'une minorité de privilégiés.

Xavier Méra

Cet article a été repris dans son intégralité sur Contrepoints.



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