mardi 25 juin 2013

Antifa, FEMEN, LGBT and co : poisons pour la démocratie ?




         La période actuelle est fort peu agréable. On pourrait même dire qu'elle pue très franchement. Avec le mariage pour tous et les affrontements idéologiques qui l'ont entouré, les associations de lutte contre l'homophobie ne cessent de monter au créneau pour dénoncer aujourd'hui la "libération" du discours homophobe sous toutes ses formes. Avec la mort de Clément Méric, les associations antifascistes dénoncent le retour du fascisme et de la bête immonde. Bref, ces associations de lutte contre les -phobes et les -istes de tous poils font ce qu'elles ont toujours fait, à savoir entretenir un fond de commerce communautaire, mais avec en plus le sentiment d'urgence que confère l'actualité des dernières semaines. Clément Méric est mort dans une bagarre de rue entre skinheads et militants antifas que l'on peut qualifier de skins rouges, ce qui n'est pas leur faire beaucoup plus d'honneur qu'aux amateurs de bras levés. Lacets blancs, lacets rouges, blanc bonnet et bonnet blanc. Les antifascistes qui dénoncent la violence à laquelle ils sont confrontés oublient de mentionner leurs propres exploits : attaque d’une librairie catholique à Nantes, dégradation de biens publics lors de la manifestation nationale et, chose encore plus surprenante, interruption d’une conférence de Michel Collon à Lille organisée par le Mouvement des Jeunes Communistes du Nord ! On cherche encore où est la lutte contre l’infamie néo-nazie dans ces événements. En revanche, on comprend très bien que le système fait preuve d’une tolérance bienveillante, pour ne pas dire d’un laxisme coupable, à l’égard de ces représentants du Bien; lesquels pourront sûrement “servir” en d’autres occasions.   

Le discours politique ne cesse par ailleurs d'ajouter à la dramatisation constante du propos chez nos amis associatifs. Ceux-ci voyaient dans la manif pour tous le retour des 666 légions de l'enfer fascistes sorties du ventre (toujours fécond) de la bête immonde pour détruire les homosexuels (toujours discriminés), la démocratie (toujours menacée) et la gay pride (toujours festive) ? Qu'à cela ne tienne, un parlementaire socialiste en rajoutait une couche en évoquant avec beaucoup de finesse le triangle rose des victimes de la déportation et le souvenir des exactions nazies pour qualifier le mouvement de contestation à l'ouverture du mariage civil aux couples homosexuels. Il s'en fallait de peu qu'il traite manifestants et organisateurs d'ordures nazies, un pas que Pierre Bergé, la pasionaria bling bling du mariage pour tous, n'hésita pas à franchir en arrivant à la conclusion, par un miracle réthorique qui assurera pour longtemps sa postérité, que les opposants au mariage gay ne pouvaient être que de répugnants antisémites. CQFD. De la même manière, les associations anti-homophobie se sont émues récemment de l'interdiction de l'affiche de L'inconnu du lac, y voyant la preuve supplémentaire que les gays en France subissent le même sort que le peuple d'Israël en Egypte, (histoire de continuer à filer la métaphore Bergé, la France étant peu dotée en vastes étendues arides, on conseillera la mer de sable d'Ermenonville ou la dune du Pyla pour la traversée du désert tandis que la butte aux cailles fera un parfait mont Sinaï). Les représentants des associations LGBT ont tout de suite dénoncé avec force les manoeuvres des partisans de la réaction, gênés par la poésie sulfureuse de ce baiser entre deux hommes, aux chaudes couleurs pastel, omettant cependant de préciser un détail secondaire de l'affiche, à savoir une bonne séance de turlute entre deux personnages étendus au loin sur le sable du lac éponyme, une illustration certes un peu moins gentillette et Lac des Cygnes que la romantique étreinte du premier plan.

De même, après les dégradations infligées à l'exposition photo d'Olivier Ciappa il y a quelques jours, il n'est pas une seconde venu à l'idée du principal intéressé, qui a dénoncé une agression de "personnes homophobes" dirigée "contre l'amour", que son exposition, loin d'"apaiser les tensions" comme il le prétend avec ingénuité, contribuait au contraire largement à l'exaspération générale en renforçant l'impression d'un véritable envahissement de l'espace public par un discours anti-discrimination devenu un credo politique omniprésent. Le fait que le portrait vedette de l'exposition soit celui de Roselyne Bachelot et d'Audrey Pulvar, dans une mise en scène si grotesque qu'elle devrait susciter l'ire de nombre de couples homosexuels, renforce l'idée que le combat des associations, telles que SOS Homophobie qui a participé au montage de l'exposition, correspond surtout à un cirque médiatique orchestré par une minorité agissante, à laquelle des clowns comme Bergé, Bachelot ou Pulvar, servent de caution people. Cette minorité agissante ultra-communautariste use et abuse cyniquement du discours victimaire et dispose d'une audience qui paraît démesurée et de plus en plus insupportable aux yeux d'une majorité de moins en moins silencieuse, comme l'a montré l'ensemble des débats et des contestations entourant la manif pour tous. Ces associations auront contribué plus que tout autre acteur du débat à "libérer la parole homophobe", pour reprendre leur terminologie, par leur surenchère et leur agressivité systématique. 




Que dire également des FEMEN et de leurs piteuses démonstrations, qui semblent avec tant de constance bénéficier de la bienveillance des pouvoirs publics ? Une bienveillance si efficace que Nicolas Bernard-Busse, manifestant anti-mariage gay coupable de rébellion à l'encontre des forces publiques, écope de deux mois de prison ferme et est immédiatement écroué, pour avoir, rappelons-le, délivré une identité imaginaire et tenté de fuir l'arrestation, tandis que les militantes aux seins nus n'ont pas été inquiétées plus de quelques heures après leur intervention à Notre-Dame (pour laquelle le recteur et archiprêtre a déposé une plainte pour dégradation et coups et blessures). Les faits d'armes pathétiques (Inna et Sacha Chevtchenko se sont vantées d'avoir emporté un morceau de la feuille d'or qui recouvrait la cloche Saint-Denis), qui accompagnent l'attitude torquemadesque des dirigeants et principaux membres de ses associations de soi-disant lutte pour les droits, et le soutien évident qu'elles reçoivent de la classe politique et médiatique, provoquent un rejet de plus en plus évident au sein de la population vis-à-vis des petits matamores et des divas de la subversion-spectacle qui parviennent à régenter aujourd'hui le discours public.

Ce n'est pas la "parole homophobe" qui se libère actuellement, c'est plutôt un raz-le-bol généralisé vis-à-vis de tous ces emmerdeurs en bandes organisées que sont ces associations de flicage en tout genre. Comment ne pas les détester en effet ces fonctionnaires de l'indignation, ces petits juges arrogants, ces professionnels de la victimisation, qui s'invitent partout, sous prétexte d'égalitarisme, pour asséner leur morale niaise et autoritaire qui contribue plus certainement à alimenter le ressentiment à l'encontre de ceux qu'ils prétendent défendre que n'importe quel "discours de haine" ? Comment ne pas les trouver ridicule ces tartuffes, quand ils interviennent dans les salles de classes, avec la bénédiction et les deniers des pouvoirs publics, pour dispenser face à des gamins incrédules un cours de bienséance universaliste que même le plus bigot des jésuites n'aurait pas osé produire ? Comment ne pas se tenir les côtes quand ils annoncent vouloir favoriser la lutte (encore et toujours) contre les discrimination professionnelles et oeuvrer en faveur du coming out au travail, comme si la majorité des salariés se souciaient plus de l'homosexualité révélée de leur collègue de bureau que du menu de la cantine ? 




La dramatisation de ce discours que l'on a appelé tour à tour "politiquement correct", "pensée unique" ou "bienpensance" est responsable, non seulement d'une exacerbation très nette des tensions au sein de notre société, mais d'une asphyxie idéologique contre laquelle il est peut-être trop tard pour se prémunir. Nous nous trouvons dans une situation où le communautarisme est devenu une politique imposée sous couvert d'égalitarisme à une société parfaitement atomisée hésitant encore entre la nostalgie du holisme et la désagrégation individualiste. Comme Tocqueville l'avait fort bien examiné dans De la démocratie en Amérique, l'association est devenu un corps intermédiaire et un indispensable relais entre le pouvoir politique et une société d'individus ou d'agrégats locaux. Les associations sont devenues aujourd'hui le relais autoritaire d'une idéologie qui ne sert plus que les intérêts particuliers de catégories de la population qui, prenant prétexte de la lutte contre différentes formes de discrimination réelles ou largement fantasmées, assurent un lobbying efficace et leur domination de fait en tant que vainqueurs autoproclamés de l'utopie mondialisée dont elles alimentent sans cesse la réthorique uniformisante.

Elles bénéficient malheureusement de façon très évidente du soutien du pouvoir socialiste qui passe sans honte de la caricature mitterandienne au vaudeville gay friendly avant de se prendre pour le Front Populaire qui interdit les ligues en 1936. Cette politique permet au moins à François Hollande et à son gouvernement de  camoufler derrière un engagement sociétal l'absence complète de propositions politiques qui justifie un immobilisme complet. Dans tous les domaines, les associations, SOS Racisme, le CRAN, le Crif, SOS Homophobie (...etc...etc), ont pris le relais du discours politique qu'elles contribuent à la fois à déterminer et à appauvrir en rendant plus prégnante encore la logique rétributive et strictement communautaire qui anime la société du spectacle à la française. Dans tous les domaines, le politique s'est enfermé dans une logique compassionnelle parfaitement artificielle et ne répond plus qu'au pathos et à l'injonction distributive en matière de droits, dont les associations de tous bords sont devenues le fer de lance et leurs membres les premiers bénéficiaires. Ces associations, devenant de véritables antichambres du pouvoir politique et des groupes de pression bénéficiant de larges financements publics, rappellent la dérive connue par les thinktank américains et dénoncés aujourd'hui par de nombreuses voix. Elles contribuent à instituer un verrouillage du discours et une forme de clientélisme au coeur des institutions culturelles et politiques qui est un poison pour la démocratie.

dimanche 23 juin 2013

France, des années de plomb à l'envers ?



        

       Les années de plomb constituent l'une des périodes les plus traumatiques de l'Italie d'après-guerre, entre la fin des années 60 et le milieu des années 80. Pendant près de deux décennies, le terrorisme des Brigades rouges bientôt relayé par le terrorisme noir des groupes néo-fascistes a commis plus de 600 attentats (362 morts). Cette  « stratégie de la tension » a fait vaciller le République italienne, tout du moins le croyait-on jusqu'à l'ouverture récente des archives concernant toutes ces affaires. 

          Les historiens ont progressivement mis à jour les mécanismes très complexes qui sous-tendaient cette période. Qu’ont-il découvert ? Que la « main invisible » de l’Etat, si elle n’a pas initié cette série d’attentats, s’en est très largement servi pour discréditer son principal adversaire : le Parti communiste italien en passe d’accéder au pouvoir grâce au verdict des urnes.

Le parti démocrate-chrétien (au pouvoir) a tout d’abord laissé le champ libre à l’activisme révolutionnaire des Brigades rouges pour déborder le PCI sur sa gauche, et le discréditer auprès des électeurs. Il a ensuite favorisé les actions violentes de plusieurs groupuscules néofascistes qui entretenaient, pour certains de leurs responsables, des liens avec les services secrets italiens. Certains documents font même apparaître l’intervention de la CIA. A cela il faut encore ajouter l’action occulte de la loge P2 et les exactions commises par certains groupes mafieux – voir à ce sujet l’excellent film Romanzo criminale.   

En tout état de cause, l’Etat a très largement instrumentalisé tout ce petit monde pour intensifier la « stratégie de la tension » et créer chez l’électeur moyen le besoin légitime de sécurité. Ce qui a permis d’écarter définitivement le PCI des lieux du pouvoir. 




La situation actuelle de la France n’est pas, bien entendu, celle des années de plomb italiennes. Mais l’on voit bien se mettre en place, de chaque côté de l’échiquier politique, des groupes radicalisés qui constitueront, demain, les idiots utiles du système.

A l’ultra-gauche, il est tout de même frappant de voir que les « Antifa » peuvent défiler dans les rues, foulard sur la bouche et casque sur la tête, sous le regard bienveillant des forces de l’ordre. Sans compter les appels plus ou moins voilés au meurtre distillés sur internet. On se dit qu’avec un petit financement et une aide logistique, ces groupes galvanisés ne seraient pas loin de ressembler à nos groupes néofascistes italiens des années 70.
 
A l’ultra-droite, la donne n’est pas meilleure. Le développement des « blocs identitaires » dans de nombreuses régions de France prospèrent sur la haine de l’immigré et le rejet de l’islam. Leur radicalisation idéologique et le passage de plus en plus fréquent à l’action correspond très clairement au débordement du Front national sur sa droite, comme le PC italien des années 60 s’était fait déborder par sa gauche. Est-il besoin, par exemple, de rappeler – puisque les médias ne le font jamais – que Marine Le Pen est déjà considérée comme une « vendue au système » par tous ces groupes radicaux.

Si l’on rassemble ces éléments épars, et que l’on y ajoute encore l’insécurité galopante et l'essor de nombreuses cellules mafieuses dans les cités, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que nous vivons déjà dans un état de tension extrême. Or, cette tension que les imbéciles du système (antifascistes et racialistes) ne cessent d'attiser fait naturellement le jeu des partis au pouvoir. Comme dans l'Italie des années de plomb, on y retrouve d'ailleurs la droite de gouvernement et la gauche raisonnable - entendre par là les forces chargées d'ajuster les peuples à la mesure du capitalisme. Et l'on sait que la propagation larvée du chaos a toujours été le meilleur moyen de ramener les citoyens dans le giron du système.

Ce serait, en tous les cas, la seule stratégie valable pour écarter le parti qui s’oppose aujourd'hui à l’ordre établi et qui s’apprête à recueillir près d’un tiers des voix des électeurs français, comme autrefois le PC italien… Avant que les révolutionnaires, les antifascistes, les néofascistes, les services secrets, les nazi-maoïstes, les brigadistes, et tutti quanti, n'entrent en scène pour jouer une partition que le chef d'orchestre (étatique) avait écrite pour eux.



mercredi 19 juin 2013

les idiots en folie (8)



     



                      « Nous on s’en fout, on s’enfuit,
                  et après vient la pluie
                  pour effacer nos empreintes ».







lundi 17 juin 2013

Le recours aux forêts





          Chaque jour apporte son lot d’invraisemblances, et il faut une bonne dose d’humour pour accepter que la destinée commune ne se joue plus sur le terrain du réel. Rappelons à ce sujet que l’humour a toujours constitué une grande force de résistance, à défaut il est vrai de mobiliser les foules en vue de l’action. « Quand passe le puissant seigneur, le sage paysan s’incline bien bas et pète silencieusement » dit un proverbe éthiopien.

         Et bien, espérons que ces petites infractions individuelles finissent par former les « réseaux de l’antidiscipline » de demain, et par faire en sorte que les chuchotements contre l’ordre établi deviennent le cri de ralliement pour un autre monde.

         En attendant, il n’est pas interdit de sourire aux manœuvres de plus en plus rocambolesques que les puissants, aidés en cela par les idiots utiles du système, fomentent sous nos yeux interloqués. Ainsi, la France serait devenue le pays des skinheads qui déferleraient, telles les troupes de SA dans les années 1930, sur les pavés de nos villes assiégées. Heureusement, notre président tient la barre ferme, et dissout à tour de bras ces groupuscules arrivés jusqu’aux portes du pouvoir. 




         Dans les travées de l’Assemblée nationale, la lutte touche également au sublime puisque nos députés, à force de courage, ont entièrement retoqué la loi sur la transparence de la vie politique. Tandis que nos ministres n’ont pas hésité à défier l’hydre européenne pour rappeler que nos chers artistes ne seront pas sacrifiés sur l’autel du marché. Les ouvriers de Michelin, cela passe encore, comme ceux de l’automobile, de l’industrie navale ou de l’agroalimentaire, mais sûrement pas notre élite de créateurs. 

          Au même moment, on comprenait que la vocation politique revêtait les habits de la sainteté à la lecture de la lettre que Christine Lagarde remit au président vénéré de l’époque. Une ligne suffira, le point 3 : « Utilise-moi pendant le temps qui te convient et convient à ton action et à ton casting ». On reconnaîtra, au passage, cette langue française jamais aussi belle que lorsqu’on la met au service d’une grande cause.

         Sur le plan international, quel soulagement de voir que la puissance étasunienne prend en main notre sécurité collective à travers un système d’écoute que pas même Staline et Hitler réunis n’avaient pu imaginer. Il est des prisons où l’on se sent bien, à l’abri de regards bienveillants. En revanche, la situation en Syrie paraît plus compliquée et c’est à désespérer que les forces du bien ne puissent décidément pas prendre racine dans ces pays arriérés et maléfiques.

Il faudrait encore évoquer le rétablissement écologique providentiel de notre planète, l’essor de techniques faramineuses qui permettent de nous la couler douce, le progrès incessant de nos sociétés vers une égalité stricte et niveleuse, l’avènement d’un peuple-consommateur fier de ses désirs et friand de ses marchandises, mais ce serait aller trop loin au regard de tous nos frères qui souffrent encore de ne pas vivre sous nos cieux.




          Il me vient à l’esprit, tout d’un coup, le titre d’un livre : Traité du rebelle. Ce vieux grognon d’Ernst Jünger, ayant passé l’âge de s’énerver pour des choses futiles, parlait de recourir aux forêts, à l’image des proscrits islandais (« waldgänger ») obligés de quitter leur communauté d’origine. Ils devenaient, par la force même des choses, des rebelles invétérés puisque tout citoyen qui les croisait avait droit de mort sur eux. D’où le recours aux forêts. Ecoutons Ernst :


   « Quant au Rebelle, nous appelons ainsi celui qui, isolé et privé de sa patrie par la marche de l’univers, se voit enfin livré au néant. Tel pourrait être le destin d’un grand nombre d’hommes, et même de tous – il faut donc qu’un autre caractère s’y ajoute. C’est que le Rebelle est résolu à la résistance et forme le dessein d’engager la lutte, fût-elle sans espoir. Est rebelle, par conséquent, quiconque est mis par la loi de sa nature en rapport avec la liberté, relation qui l’entraîne dans le temps à une révolte contre l’automatisme et à un refus d’en admettre la conséquence éthique, le fatalisme »[1]


         Mais le vieux sage allemand était allé beaucoup plus loin dans son roman précédent, Eumeswil, qui devrait être considéré par tous les hommes de bonne foi comme une suite plus profonde et plus ambitieuse au 1984 de Georges Orwell. Il n’était plus question ici de recourir aux forêts, car un monde totalitaire ne le permet pas, mais de fonder une royauté intérieure pour échapper, tant que faire se peut, à l’emprise tentaculaire du système. 


« La distinction réside en ce que le rebelle a été banni de la société, tandis que l’anarque a banni la société de lui-même. Il est et reste son propre maître dans toutes les circonstances. S’il se décide à recourir aux forêts, c’est là, pour lui, moins une question de droit et de conscience qu’un accident de parcours. Il change de camouflage ; mais il est vrai que sa différence de nature apparaît plus clairement lorsqu’il se rebelle, et qu’il adopte ainsi une forme plus faible, quoique, le cas échéant, indispensable »[2]










[1] Ernst Jünger, Traité du rebelle ou le recours aux forêts, Paris, Christian bourgeois, coll. « Points », 1981 [1980], p. 44.
[2] Ernst Jünger, Eumeswil, Paris, La Table Ronde, coll. « folio », 1978 [1977], p. 205.

mardi 11 juin 2013

Capitalisme et totalitarisme




          
         Dans les semaines à venir, les idiots vont laisser passer une longue recension critique d'un ouvrage magistral, et absolument essentiel à la compréhension de notre temps.

         En attendant, nous en proposons un avant-goût, il s’agit du livre de Jean Vioulac, La logique totalitaire. Essai sur la crise de l’Occident (Paris, Presses universitaires de France, coll. « Epiméthée », 2013), p. 388-389.


         « Fondé sur un économisme scientiste qui voit dans l’avènement de la société de marché l’accomplissement de l’Histoire universelle et la réalisation de la nature humaine, le néolibéralisme, par le biais d’une avant-garde d’économistes professionnels, promeut la production de l’homme nouveau adapté au marché mondial ; il use, pour ce faire, de la propagande de masse qu’est la publicité et soumet chaque individu à la discipline managériale qui lui impose l’entreprise comme modèle de réalisation d’un soi préalablement défini comme producteur-consommateur : il contribue ainsi à l’institution du marché comme Totalité et s’emploie à détruire tout ce qui viendrait entraver sa puissance de totalisation. Sa gouvernementabilité spécifique se déploie alors comme biopouvoir, qui vient normer les individus dans l’immanence de leurs désirs, et comme police, qui assure la coexistence pacifique des individus désirants.
Le capitalisme est un totalitarisme[1], et le néolibéralisme est son idéologie ; s’il peut nier être totalitaire, c’est qu’en effet il n’est pas application démiurgique d’un idéal élaboré contre le réel, mais explicitation et accompagnement d’un processus de totalisation et de reconfiguration totale de l’homme et de la société parfaitement immanent, qui ne relève pas d’un dessein humain : mais un tel processus de totalisation, en tant qu’il est autonome et automatique, est précisément le totalitarisme même, et le néolibéralisme n’est autre que l’idéologie du totalitarisme capitaliste – qui, dans l’image inversée de la camera obscura idéologique, le présente systématiquement comme libération[2] ».


[1] L’idéologie néolibérale a pu tout au long du XXè siècle et encore aujourd’hui s’opposer aux totalitarismes politiques en se fondant sur le critère discriminant de la terreur, qui fut en effet massive et sanglante dans tous les régimes totalitaires : elle ne l’a fait cependant que dans le déni complet du « terrorisme impitoyable » (Marx) propre à l’accumulation primitive du Capital. Pour autant, il convient de définir la terreur avec précision : la terreur est l’exercice du pouvoir de l’Universel sur le particulier, qui use de sa souveraineté pour abolir la singularité. En régime terroriste, montrait Hegel, l’individu comme tel a le statut de suspect, en ce que sa singularité est en tant que telle inadéquate à l’universalité de l’Etat. Mais le capitalisme donne lui-même un statut très précis à l’individu, le statut de précaire […], et le précaire, tout comme le suspect, vit constamment sous la menace que constitue son inadéquation à l’Universel. Menace d’être inadapté à l’évolution du marché, et donc d’être éjecté par la force centrifuge de la spirale de l’autovalorisation : la logique immanente de la concurrence conduit ainsi à une purification du corps social par l’élimination constante des losers qui n’auront pas su rester performants, et rejette ainsi quotidiennement à sa périphérie tous ceux qui ne s’intègrent pas à son dispositif de désintégration […]. A la menace de l’exécution dans laquelle vit le suspect succède donc la menace de l’exclusion dans laquelle vit le précaire – et l’exclusion est bien une forme de mort, la mort sociale. Cette menace se double alors pour chacun de la peur de ne pas être à la hauteur de ses propres objectifs, et de découvrir la nullité de ses performances : la dépression est alors le vécu subjectif propre à un individu qui ne se juge plus, par rapport à la loi, en termes de faute, mais, par rapport aux normes, en termes d’insuffisance. 

[2] On pourrait aborder le mode capitaliste de domination en termes de pouvoir charismatique : la masse atomisée se constitue en communauté charismatique par sa référence commune au fétiche de l’argent, entité mystique qui incite chacun à travailler pour lui et vers lui. Ce fétichisme charismatique est mené à son terme aux Etats-Unis, où « 20% des Américains disent que la main invisible derrière le capitalisme est celle de Dieu » (Le Monde du 28 octobre 2011), ce qui met en lumière la nature de la religion des Américains – qui, en effet, invoquent le nom de Dieu sur leurs billets de banque – déjà suspectée par Tocqueville. Rappelons la parole du Christ : « Nul ne peut servir à la fois Dieu et l’argent » (Luc, 16, 13) et celles de saint Paul : « La racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent » (1 Timothée, 6, 13), « Dans les derniers temps il y aura des jours difficiles : en effet, les hommes seront égoïstes et amis de l’argent » (2 Timothée, 3, 2).

jeudi 6 juin 2013

Nicolas Winding Refn, cinéaste post-fasciste




         Depuis les deux réalisations d’anthologie que sont Bronson (2009) et Valhalla rising (2010), le danois Nicolas Winding Refn se pose comme une figure marquante, et désopilante, du cinéma contemporain. Des films quasiment muets, une esthétique rétrofuturiste, un symbolisme désuet, une musique électronique entêtante, et des personnages fantasmatiques qui se débattent dans un monde de pure violence.

         Ses deux derniers films, Drive et Only God Forgives, suivent la même voie à cette différence que les loups solitaires se débattent désormais dans une société déchirée, sans repère autre que le mal qui transpire de toutes parts. Ryan Gosling incarnant la figure de l’ange tombé du ciel, en quête d’une rédemption improbable. C’est dans cette atmosphère décadente que des guerriers perdus livrent leur ultime bataille, pour se sauver par la mort volontaire.



                                        



         Des films post-fascistes ? Assurément, si l’on convient que l’expression « post-fascisme » renvoie au dernier essai de Julius Evola, publié en 1964 sous le titre Chevaucherle tigre (« Orientations existentielles adaptées à une époque de dissolution »). Le penseur italien, qui a navigué dans les eaux troubles des fascismes européens, est tout heureux de retrouver au sortir de la guerre, en 1945, une jeunesse prête à en découdre avec le monde moderne. Référence incontournable du néofascisme contemporain, il se détache finalement de tout engagement politique afin de promouvoir le détachement spirituel. Et théorise ce choix sous le nom d’apoliteia : il appartient à l’« homme différencié » de se rendre étranger au monde moderne pour se donner sa propre loi. Et, dans l’atmosphère crépusculaire de ce monde, il doit s’éprouver au contact des poisons de la société afin de les transformer en remède – sens de l’expression tantrique « chevaucher le tigre » –, et vivre chaque jour comme si c’était le dernier. Ainsi deviendra-t-il un « homme différencié » (de la masse) pour qui la contemplation de la mort vaudra refuge ultime.





         Ce sont justement ces hommes, comme « libérés » du monde et toujours au bord de l’abîme, que Nicolas Winding Refn met en scène. Du point de vue de l’atmosphère d’abord. Ses deux derniers films se déroulent dans des mégalopoles (Los Angeles et Bangkok) prises dans un flux d’images esthétisantes, et déshumanisantes, comme dans une publicité pour produits de luxe. Les hommes, devenus étrangers à eux-mêmes, se glissent dans les méandres d’un ordre social pulvérisé. L’action ensuite. Le débordement de violence n’est que la conséquence d’une société sans fondement autre que le compte à rebours qui s’égrène inéluctablement. Et la violence, parodique et grotesque, prend les atours du cinéma gore. Les loups solitaires s’y déchaînent. Il n’y a pas de sens. Le style enfin. Dans ce carnaval expérimental, le héros est celui qui se donne sa propre loi, son code d’honneur, au-delà du bien et du mal. Et qui défend une cause, quelle qu’elle soit, pour donner sa vie en sacrifice. Ainsi, il se sauvera de l’enfer du monde moderne – « sauver » au sens premier du terme, quitter, partir, s’enfuir d’un endroit. C’est tout.

         Le post-fascisme comme initiation sauvage, avec les mots d’Ernst Jünger sous la main : « Le rebelle a été banni de la société, tandis que l’anarque a banni la société de lui-même »[1], et les images de Refn sous les yeux. Choc garanti.









[1] Ernst Jünger, Eumeswil, Paris, Gallimard, 1978, p. 205.

mardi 4 juin 2013

Tant qu'on a l'ivresse


Dans le petit nombre des choses qui m’ont plu, et que j’ai su bien faire, ce qu’assurément j’ai su faire le mieux, c’est boire. Quoique ayant beaucoup lu, j’ai bu davantage. J’ai écrit beaucoup moins que la plupart des gens qui écrivent ; mais j’ai bu beaucoup plus que la plupart des gens qui boivent. Je peux me compter parmi ceux dont Baltasar Graciàn (…) pouvait dire : « Il y en a qui ne se sont saoulés qu’une seule fois, mais elle leur a duré toute la vie. »

Guy Debord. Panégyrique I. Œuvres. Quarto. Gallimard. 2006. p. 1668-1669