samedi 18 avril 2015

Near death experience


"La vie est un jeu de billes entre deux néants"


Si la bande-annonce du dernier film de Kerven-Delépine, Near death experience, était particulièrement réussie, avec un Michel Houellebecq en cycliste désœuvré au milieu des pinèdes et des roches, elle laissait également présager une énième variation sur la condition mortifère de l’homme en milieu capitaliste, dont les réalisateurs grolandesques sont coutumiers – parfois jusqu’à la caricature. La médiatisation à outrance du film n’a fait que renforcer ce sentiment de méfiance. C’était une erreur. Le film est âpre, lent et difficile d’accès ; il lorgne davantage du côté de l’essai expérimental surréaliste que du cinéma social-rigolard. Les monologues qui ponctuent la dérive de cet employé en plein burn out pourraient être signés de Michel Houellebecq lui-même tant ils collent à son œuvre. 

         Les premières images du film font irrémédiablement penser à L’extension du domaine de la lutte : on y voit un employé accoudé au bar prendre un apéro avec ses collègues de travail. Puis il rentre chez lui, dans son appartement de la banlieue marseillaise, rejoindre sa femme et ses gosses. Pendant ces deux séquences, on voit le visage impassible de Houellebecq dont on devine l’épuisement tandis que tous les autres personnages ou plus exactement les autres corps – filmés jusqu’à hauteur de cou – s’activent autour de lui, comme si de rien n’était. Très rapidement, Michel revêt sa tenue de cycliste (qu’on lui a offerte à la fête des pères) et enfourche son vélo (auquel il s’est mis pour lutter contre le cholestérol). Il rejoint les premières collines rocailleuses, jette son vélo sur le bord et s’enfonce dans la nature sèche et ensoleillée. Commence alors une longue déambulation qui doit le mener à un suicide raisonné, à une extinction raisonnable.

         Le personnage central, qui sera de toutes les scènes, égrène ses réflexions sur les motifs d’un acte qui couronne une existence tout à fait honnête, mais simplement devenue obsolète. Pas de révolte, encore moins d’aigreur, un simple constat dans la pure fibre houellebecquienne : le travail, on finit par s’y plier et même par l’apprécier mais l’on sait bien au fond que tout cela est de la foutaise ; l’amour, c’est une belle chose, sans doute le seul moment où la vie affleure à la surface de l’être, mais une belle chose que le temps s’évertue à ruiner, avec succès ; la famille, sans doute la résultante des deux préoccupations précédentes, assurément un jeu de rôle où tout le monde cherche à faire de son mieux, sans garanti de succès. Et puis l’âge, dans une économie de marché, c’est finalement la seule compétence qu’on vous demande : être productif, docile et consommateur. En attendant que l’euthanasie soit institutionnalisée, il n’est pas interdit aux individus les plus lucides de faire eux-mêmes le travail. 

L’originalité du film ne tient cependant pas dans cette invitation au suicide, mais dans le rapport (inattendu) entre la dérive de l’employé insipide et la majesté sauvage de la nature environnante. Michel grimpe les pentes sinueuses, s’engouffre dans les broussailles, se faufile à travers les roches, plonge ses mains dans la terre, se réchauffe au soleil, dort à même le sol, etc. Sans tomber dans les clichés, le personnage retrouve une part de l’enfance vagabonde et même une once d’espoir sans jamais se départir de sa raison épuisée. Au clair de lune, il s’interroge sur ce bout de terre que les hommes ont conquis avec leurs tenues de cosmonautes, et laisse divaguer son esprit : et si nous étions envoyés sur terre par le pays des rêves avec ce corps lourd et emprunté pour survivre en milieu hostile ? Ces belles scènes, comme en apesanteur, sont redoublées par la puissance tragique de plusieurs morceaux classiques. Le film prend alors une tournure méditative, très inattendue chez nos deux compères réalisateurs, qui nous fait cheminer du côté des livres d’Augiéras, du cinéma de Buñuel et de la musique d’Etant donnés.

         Au cours de cette errance, alors même qu’il n’y a aucun suspense, on se surprend à croire dans la rédemption de Michel. La nature mère n’est-elle pas capable de ramener ses enfants à la vie ? Aussi la fin du film est-elle étonnante… et vaut la peine de se perdre jusqu’au bout dans cette œuvre belle et fuyante. 




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