mardi 25 août 2015

Les Atticistes - III

Troisième extrait des Atticistes. Ou de la bonne manière de mener des réformes de l'éducation. "Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite"...



L’Education nationale décida de prendre des mesures dramatiques pour préparer l’avenir. Elle créa donc des commissions pour préconiser une réforme des programmes scolaires. En composant le groupe chargé de faire des propositions sur l’enseignement des lettres, il allait de soi qu’on fit appel à Marie-Albane de la Gonnerie. Alors que les discussions de la commission étaient en cours, l’illustre sémiologue publia une tribune dans le Globe :

J’ai l’honneur de faire partie de la commission nommée par le Ministre de l’Education nationale pour formuler des propositions sur ce que les réactionnaires appellent encore l’enseignement des « lettres », vocable poussiéreux associé à « la culture » et à « la transmission ». Les travaux de notre commission, et mes propres convictions, m’obligent à m’attaquer au second de ces deux concepts.
La « transmission » est un euphémisme pour la rigidité hiérarchique d’une société patriarcale, qui impose, avec la complicité de l’école, une série de valeurs et d’institutions. Dans l’école d’aujourd’hui la transmission, ennemie de la liberté, doit être bannie.
Ce qui doit la remplacer, c’est l’éveil. Tout ce dont les élèves ont besoin, ils le portent en eux. Chaque enfant est un puits de découvertes latentes, d’expériences sensorielles à mettre en branle, de créativité. Le professeur doit être le serviteur fidèle qui tire la corde du puits pour faire remonter le seau de trésors.
Il en va de même pour la langue. On dit que la langue est fascisante, mais seulement celle qui est « enseignée ». Le « français correct » n’est qu’une série de codes que les classes dominantes dressent comme une muraille pour se protéger contre le peuple. Il faut absolument arrêter d’enseigner aux enfants leur propre langue, dont eux seuls sont les maîtres.

En ce qui concerne les textes dits « littéraires », ceux justement qu’on utilise pour imposer aux enfants la dictature du phallologos, ils doivent être interdits aux jeunes esprits avec toute la rigueur dont autrefois on éloignait d’eux la « pornographie ». Ce qu’on appelle la « littérature européenne » doit être rangée dans les caves des bibliothèques, et étudié seulement par des spécialistes aussi pointus que ceux qui se consacrent au déchiffrage des inscriptions étrusques. C’est précisément en démolissant cette nouvelle Bastille que nous ferons naître le monde de demain ! 

Eugène Green. Les Atticistes. (2012)

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