mardi 1 novembre 2016

Misère du pédagogisme : la constante macabre




La fête d'Halloween est arrivée avec son cortège de spectres, d'apparitions fantomatiques et de monstres. Cette année d'ailleurs, les devantures des commerces se sont parées dès le début octobre de toiles d'araignées et de citrouilles en plastique et même l'Education Nationale s'est mise à l'heure américaine et jointe à la fête en sortant de ces placards un nouveau monstre : la Constante macabre. Les enseignants de collège et de lycée ont ainsi reçu dans le courant du mois de septembre un mail émanant du MCLCM, soit le « Mouvement Contre la Constante Macabre », qui les invitaient, avec le soutien ministériel et académique, à participer à des formations plus approfondies pour comprendre les enjeux et les avantages de cette nouvelle croisade pédagogique innovante. 

La Constante Macabre, cela sonne bien, avouons-le. On imagine un titre de polar dans lequel un prof devenu fou aurait décidé d'assassiner méthodiquement ses élèves n'ayant pas obtenu la moyenne : Destination finale pour les cancres et les habitués du radiateur. L'auteur de ce nouveau thriller pédago est un universitaire, André Antibi[1], « chercheur en didactique », nous apprend sa page Wikipédia, qui affirme dans son ouvrage de référence, La Constante macabre, paru en 2003, aux éditions Math'Adore : « Par 'Constante macabre', j'entends qu'inconsciemment les enseignants s'arrangent toujours, sous la pression de la société, pour mettre un certain pourcentage de mauvaises notes. Ce pourcentage est la constante macabre. » Résultant des travaux de thèse du chercheur[2], le concept de 'constante macabre' établit donc qu'il existerait un pourcentage irréductible de mauvaises notes attribuées au cours de leurs évaluations par l'écrasante majorité des professeurs, suivant une courbe de Gauss, déterminant une grosse moyenne de notes situées dans un écart-type entre « pas folichon » et « peut mieux faire » et deux autres catégories constituées par les très mauvais résultats d'un côté et de l'autre les excellentes prestations des forts en thèmes et des premiers de la classe, ceux qui nous horripilaient systématiquement en prétendant hypocritement avoir raté le contrôle, alors que tout le monde savait qu'ils récolteraient comme d'habitude un 18. D'après ses recherches et les sondages qu'il a effectué auprès de la population enseignante, André Antibi affirme que 95 % des professeurs ont conscience que la  constante macabre existe bel et bien. Pire, ils auraient même tendance à n'être pas si inconscients que cela de leur sadisme en faisant exprès d'imposer à leurs malheureux élèves des questions pièges et des problèmes qui n'ont pas été étudiés en cours afin de pouvoir leur coller des mauvaises notes pour passer pour des durs auprès de leurs collègues et bien faire sentir à leurs malheureux étudiants que leur cours à eux, c'est pas de la bibine. Cet injuste système, affirme André Antibi, aboutit, une fois de plus, à la discrimination systématique des mauvais élèves, qui accumulent éternellement les mauvaises notes en dépit de tous leurs efforts, comme Sisyphe roule son rocher, situation menant à l'anxiété chronique, au désespoir, au décrochage scolaire et pour finir à la fin de la civilisation telle que nous la connaissons.



De fait, pour lutter contre ce nouvel avatar de l'insupportable processus sélectif encore et toujours défendu par les agents de la méritocratie réactionnaire, le MCLCM – en partenariat avec la Direction Générale de l'Enseignement Scolaire (DGESCO, pour les intimes…) - propose de substituer à l'antique et funeste système de la notation macabre, un dispositif complètement innovant et beaucoup moins morbide appelé EPCC : « Evaluation par Contrat Confiance ». Fort du soutien institutionnel, le MCLCM et son EPCC partent donc à la conquête des enseignants et au secours des élèves avec un programme du tonnerre pour révolutionner l'évaluation des élèves et rendre les contrôles moins injustes, jugez-en plutôt :

« 1) la présentation claire et précise des objectifs que les élèves doivent atteindre, ce qui leur permet de mieux suivre la leçon, pour le professeur d’obtenir une meilleure attention de la classe, mais également,  pour les parents, de mieux accompagner leurs enfants dans leurs apprentissages, et donc leur scolarité ;
2) une séance de "questions-réponses", avant l'évaluation, accompagnée au besoin, d'une "fiche de révision", afin de cibler les éventuelles difficultés des élèves et donc d'agir en amont sur l'évaluation ;
3) l'évaluation en elle-même qui doit reprendre pour 3/4, les objectifs de la séquence ( phase de restitution ), et pour 1/4, "aller plus loin" ( phase de transfert ), c'est à dire, soit de réinvestir des connaissances ou des capacités déjà acquises lors de précédentes leçons, soit d'évaluer des connaissances ou des capacités supplémentaires "hors programme" selon le désir de l'enseignant »

Attendez une minute... Ce « Contrat de Confiance » incroyablement novateur et révolutionnaire, ne serait-ce pas ce qui existe déjà depuis un sacré bout de temps ? Si on résume les trois points de l' « Evaluation par Contrat Confiance », cela revient en effet à : 1) Indiquer clairement aux élèves sur quelle leçon on est en train de travailler et indiquer tout aussi clairement avant le devoir quelles parties de la leçon il faut réviser ; 2) Organiser une petite séance de révision avant le devoir, revenir sur les difficultés rencontrées par les élèves et au besoin résumer à nouveau les notions principales ; 3) faire en sorte que le jour du contrôle, les questions reprennent si possible ce qui a été vu en cours. En somme, tout ce qui reste de vraiment très novateur là-dedans c'est l'intitulé de la réforme, « Evaluation par Contrat de Confiance », slogan accrocheur qu'un concessionnaire automobile ou un vendeur d'électro-ménager ne renierait pas. A croire que nos pédagogues suivent désormais des séminaires en commun avec les étudiants des écoles de commerce…

Mais qu'est-ce qui a pu faire croire aux petits génies du « Mouvement Contre la Constante Macabre » et à leur gourou André Antibi, que les enseignants n'avait jamais pensé avant eux qu'il fallait que les contrôles portent sur les leçons apprises en cours ? Dans quels établissements du secondaire notre vaillant croisé de la lutte contre la notation funèbre a-t-il pu faire ses armes pour en conclure que le fait d'indiquer aux élèves quoi réviser pouvait les aider à avoir de meilleures notes ? La réponse est simple : sans doute aucun. Ou alors c'était il y a très longtemps. 

 
Comme le rappelle avec justesse un enseignant dans un article vengeur : « Je ne suis pas chercheur mais je suis prêt à parier que M. Antibi n'a pas vu, depuis longtemps, un paquet de copies du second degré. Il saurait que depuis des lustres nous n'avons plus (sauf peut-être dans quelques paradis que j'ignore) de classes dotées d'un tiers de bons et un tiers de moyens. Cela, c'était l'école de grand-papa, celle d'avant l'essor des sciences de l'éducation. »[3] Non seulement donc, André Antibi et son MCLCM se targuent de fabriquer du révolutionnaire avec de l'évidence mais ils paraissent aussi, comme une bonne partie des théoriciens et décideurs qui veillent à (dé)construire depuis trente ans une « école plus égalitaire », ignorer complètement un simple constant : l'inégalité ne se retrouve plus aujourd'hui dans un système éducatif qui amène 88,5 % des candidats au baccalauréat à obtenir leur précieux sésame[4] mais bien à la sortie du système éducatif. 43,8 % des inscrits en première année de fac ne passent pas en première année et près d'un tiers abandonne l'université avant d'avoir achevé leur année. Le taux monte à 56 % pour les détenteurs d'un bac professionnel[5]. Une constante macabre à laquelle ne semble pas avoir encore réfléchi André Antibi, sans doute encore trop occupé à transformer la pierre en roche et à redonner au mot révolution son sens premier et astronomique : revenir à son point de départ. 

Article publié sur Causeur




[1]     Actuellement directeur de l'Institut de Recherche sur l'Enseignement des mathématiques (IREM)  à Toulouse.
[2]     André Antibi. Etudes sur l'enseignement de méthodes de démonstration. Enseignement de la notion de limite : réflexions, propositions. 1988. Thèse poursuivie sous la direction de Pierre Ettinger.
[3]     Bernard Turpin. Le système Antibi ou l'école des charlatans. www.sauv.net/antibi.php
[4]     82,2 % pour le bac professionnel, un record selon le ministère, 91,4 % pour le bac général et 90,7 % pour le bac technologique.
[5]     « La réussite et l'échec en premier cycle ». Etude réalisée par la Direction de la Prospective et de la Performance, mandatée par le ministère de l'Education nationale et de l'enseignement supérieur. 2013

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