mardi 21 mars 2017

Débat présidentiel: Machiavel pour les nuls




Il en fallait du courage pour aller jusqu’au bout du premier débat des élections présidentielles de 2017. 3h20 au compteur, un lundi soir en plus ! C’est presque aussi long que Lawrence d’Arabie ou Ben Hur, et même si ce n’est pas bien de s’attaquer au physique, les oreilles décollées de Benoit Hamon, le gueuloir de Marine Le Pen, les poses de jeune premier de Manu Macron ou les mimiques de papa ours de Mélenchon , ça ne vaut ni Charlton Heston, ni le regard limpide de Peter O’Toole en Technicolor. Même Fillon ne fait pas le poids avec ses costards à 15 000 €. C’est bien d’ailleurs la première fois qu’on fait ce coup-là au citoyen et téléspectateur lambda : lui sortir un débat-fleuve de premier tour entre cinq candidats, c’est du (presque) jamais vu en Ve République. Après les primaires qui sortent les ténors de LR et du PS, les juges qui se mettent en campagne et obligent François Fillon à changer de costume et de slogan, il va falloir arrêter un peu les innovations sinon on se demande ce qui restera à Benoit Hamon et Jean-Luc Mélenchon pour nous surprendre avec leur changement de république. Depuis quelques mois on a l’impression d’avoir changé trois fois de président et mangé quatre républiques au petit déjeuner. On est blasé vous comprenez ? Pourquoi ne pas embaucher les gardes du corps comme assistants parlementaires et Jean-Marc Ayrault comme ministre des Affaires Etrangères tant qu’on y est ? Ca devient n’importe quoi là : un débat de cinq candidats pendant plus de trois heures en semaine en plus, il y a des gens qui bossent et la France qui se lève tôt le lendemain comme disait l’autre ! Et quand je pense que les six autres voulaient aussi en être, on aurait pu aussi bien organiser une nocturne et bruncher à sept heures du matin aussi. Ils prennent les électeurs pour quoi ces gens ? Pour des rentiers qui n’ont que ça à faire ?

Bon, visiblement, soit l’électorat compte beaucoup d’oisifs, soit les gens aiment se faire du mal ou sont vraiment – au choix – terrifiés ou chauffés à blanc par cette élection. 9,8 millions de téléspectateurs auraient suivi le débat selon France Info avec un pic à 11,3 millions et 47% de part d’audience, écrasant au passage le débat de la primaire de droite (deux fois moins), le débat de la primaire de gauche (trois fois moins), Cyril Hanouna, Une flic entre deux feux (la série TV de la Deux), Super Nanny, Wolfgang Amadeus Mozart sur France 5 et Alain Delon sur Arte. Tout ça pour entendre Emmanuel Macron et Marine Le Pen déterrer le burkini de guerre, Jean-Luc Mélenchon demander à cette dernière si elle comptait abroger le Concordat, Benoit Hamon parler de vote utile et François Fillon compter les milliards distribués par ses camarades, tout à leurs promesses. Cela valait-il vraiment le coup de snober Amadeus ou Mort d’un pourri pour assister à ça ? Oui, et pour de nombreuses raisons. 

D’abord, pour Jean-Luc Mélenchon, assurément le roi de la répartie ce soir-là. La présence du leader de la France Insoumise chez Tf1, tout comme celle de la chef de file du Front National sur un même plateau TV constituait en soi un puissant argument. La dernière fois que ces deux-là avaient vraiment croisé le fer, l’entretien s’était révélé saignant. En 2012, dans l’émission Des paroles et des actes de David Pujadas, Marine Le Pen avait quand même fini par bouder et par refuser de débattre avec le candidat du Front de gauche, faisant mine de lire ses notes et le journal, affectant d’ignorer un Jean-Luc Mélenchon déchainé. Mais à l’époque, le FdG pouvait encore prétendre jouer dans la même cour que le FN, encore sous le coup de sa formidable gamelle du premier tour des élections de 2007. En 2017, les sondages entonnent une autre chanson et Mélenchon a d’autres cibles. Car il y a les ennemis idéologiques et les adversaires d’appareil. Et Mélenchon ne pouvait que se réjouir de voir Emmanuel Macron et Benoit Hamon s’empoigner en direct sur le plateau de Tf1. Mélenchon et Hamon ont des parcours étrangement liés. Pour tous deux, le Congrès de Reims en 2008 a signifié la rupture, vécue et assumée de manière différente puisque Mélenchon a quitté le PS à cette occasion, après l’arrivée en tête de la motion Royal, pour créer un nouveau mouvement "sans concession face à la droite", tandis que Benoit Hamon, homme d’appareil et apparatchik de second rang, commençait à ce moment à se tailler le costume de « rassembleur des frondeurs » qu’il endossera sous le gouvernement Hollande avant de devenir le champion surprise de la gauche[1]

 

Au terme d’un cycle politique riche en retournements et en paradoxes, un Mélenchon plus insoumis que jamais qui a mis ses alliés communistes dos au mur et un Hamon lâché par ses ex-camarades du PS se retrouvent en position de se disputer le leadership d’une extrême-gauche recomposée. De son exil idéologique, Hamon, dénoncé comme trop clivant par ses ex-camarades, désormais pour partie aspirants-macroniens, regarde avec aigreur le nouvel astre briller au-dessus des cendres du défunt PS. Alors, Hamon, qui s’était déjà fait voler en 2008 son combat contre Royal par Aubry, tente encore durant le débat, de se hisser au niveau de son nouvel adversaire. Las ! Durant tout le débat, Hamon aura beau tenter d’écorner la belle image lisse d’Emmanuel Macron, de proposer un « futur désirable » et de défendre son revenu universel, dont il ne reste déjà plus grand-chose dans son programme, on le sent tout du long ravalé au rang de second couteau. Tout juste bon à traiter Marine Le Pen de « droguée des faits divers » - ce qui est assez drôle -, à dénoncer un « débat politique nauséabond » et à dérouler l’insipide rhétorique d’un réformisme bien-pensant, il ne parvient pas à exister face à un Mélenchon qui en fait des tonnes dans l’utopisme tonnant. Ce dernier ricane franchement quand Macron et Hamon se font reprendre par Gilles Bouleau à l’issue d’une longue passe d’arme. « C’est un débat à cinq », leur rappelle le journaliste. « Mais il faut bien qu’il y ait un débat au PS », ajoute, perfide, Mélenchon en arrière-plan. En face du pauvre Hamon et du tonitruant Mélenchon, Marine Le Pen se démène elle aussi, comme une diablesse, pour taper à la fois sur Fillon et sur Macron, et faire contrepoids à Mélenchon. Mais si les arguments de ce dernier apparaissent souvent aussi généreux que surréalistes, il réussit cependant à conserver pour lui l’avantage d’une rhétorique flamboyante, à défaut d’être vraiment convaincant. 

 

Marine Le Pen, elle, donne l’impression de manier, toujours avec la même dextérité de camionneur chevronné, le même rouleau compresseur sur les mêmes sentiers battus. C’est la fêlure dans la carapace du démagogue qui apparaît : celui qui s’appuie sur des vérités pour s’élancer vers l’abstraction séduisante voit sa course s’achever dans le domaine du ressassé et du slogan. Marine Le Pen tance, répète, réaffirme, mais ce que son discours recèle de vérité se mue en obsessions qui oblitèrent progressivement tout ce que, de son projet futur, l’on pourrait demander que la candidate expose. 

 

Pendant, ce temps, François Fillon compte les milliards que dépensent sans compter ses adversaires pour la défense, l’école, contre le chômage, pour la relance, la croissance, la consommation des ménages. Celui que les journaux et la justice questionnent depuis deux mois sur le salaire de son épouse et de ses enfants, et le prix de ses costumes, n’en peut plus d’entendre les autres candidats promettre, promettre et promettre encore. Emmanuel Macron, lui, est d’accord, la plupart du temps, avec tout le monde. Quand on l’attaque, il fait le dos rond, sourit finement, répète « c’est pour moi ça ! », en mettant les rieurs de son côté. Le reste du temps, il acquiesce, abonde, « un coup à gauche, un coup à droite», comme lui reproche Mélenchon. Le rusé Macron a, paraît-il, étudié Machiavel, en maîtrise ou en DEA. Il doit alors sûrement avoir en tête le début du chapitre XVIII du Prince : « Chacun comprend combien il est louable pour un prince d’être fidèle à sa parole et d’agir toujours franchement et sans artifice. De notre temps, néanmoins, nous avons vu de grandes choses exécutées par des princes qui faisaient peu de cas de cette fidélité et qui savaient en imposer aux hommes par la ruse. Nous avons vu ces princes l’emporter enfin sur ceux qui prenaient la loyauté pour base de toute leur conduite. » 

 

Emmanuel Macron pourrait se souvenir que si Machiavel conseille d’être quelquefois renard, il recommande aussi de savoir aussi être lion et qu’il faut également savoir « déguiser cette nature de renard », ce que Macron, apparemment n’a pas su faire, paraissant si constamment souple, aimable et calculateur qu’il en devenait presque grossier dans ses manières si rondes. Mais, après tout, le reproche pouvait, lundi soir, s’adresser à tous les candidats qui semblaient avoir adopté cette autre maxime machiavélienne : « les hommes, en général, jugent plus par leurs yeux que par leurs mains, tous étant à portée de voir, et peu de toucher. Tout le monde voit ce que vous paraissez ; peu connaissent à fond ce que vous êtes, et ce petit nombre n’osera point s’élever contre l’opinion de la majorité, soutenue encore par la majesté du pouvoir souverain. » L’opinion, comme chacun sait, ça se travaille. Chacun des candidats s’y applique avec ferveur et comme dit, encore une fois, Machiavel : « un trompeur saura trouver toujours quelqu’un qui se laisse tromper. » Mais la politique, comme chacun sait, n’est pas que la conquête du pouvoir, elle en est ensuite l’exercice. Et le débat de lundi ne laissait deviner aucun homme ou aucune femme qui semble vraiment en mesure de s’acquitter de cette tâche. Le plus difficile dans l’art de gouverner est peut-être de savoir décevoir après avoir voulu autant séduire. 

 

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[1] Pour en savoir plus sur les très riches heures du congrès de Reims, on recommandera chaudement la lecture de Hold-ups, arnaques et trahisons,signé des journalistes d’Europe 1 Antonin André et Karim Rissouli


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