samedi 11 mars 2017

Trainspotting 2 : Il n'y a pas de losers heureux


Déçus ou enthousiastes tous semblent s'accorder sur un point : le deuxième Trainspotting serait divertissant, donc dispensable. Nous pensons au contraire que ce film était nécessaire.

https://www.youtube.com/watch?v=CWWd-4pi3zQ

Nécessaire car il révèle le profond pessimisme qui habite Danny Boyle et que sa pratique virtuose du détournement de l'esthétique du clip occulte trop souvent. Nécessaire également car le premier Trainspotting contribuait à sa manière, syncopée et déglinguée, à l’entretien des illusions lyriques propres à la jeunesse : pittoresque de la bohème, drôlerie de l’échec, grandeur de la « rock ‘n’ roll way of life »... 20 ans après, ce folklore ne tient plus et il faut être un fieffé crétin pour croire encore aux vertus subversives du rock ‘n’ roll. Le premier Trainspotting était un film punk, or, nous savons aujourd’hui que le punk est une impasse, qui mène les plus intègres à la clochardisation. Pour les punks, la survie implique obligatoirement la récupération - « There is no alternative » - et c’est le drame des protagonistes de Trainspotting, que d’être devenus, au fil du temps, parfaitement irrécupérables. Toutefois, on l’oublie souvent, Renton et sa clique, fans d'Iggy Pop, héroïnomanes à l'ère des raves et des drogues de synthèse, étaient déjà dans le premier Trainspotting des has been, et, à leur façon, de jeunes vieux. D’emblée obsolètes, ils n’étaient sauvés de la ringardisation que par l’inconscience de leur jeune âge. Elle leur fait défaut désormais, et, arrivés en fin de partie, leurs visages marqués semblent anticiper le prochain coup du sort, la prochaine trahison.


Naturellement, on reprochera à ce second Trainspotting d’être moins drôle, moins léger, un peu poussif, et c’est bien normal: Trainspotting 2 est avant tout un film sur le temps, sur sa façon insidieuse de distendre les visages, d'alourdir les corps, d'assécher les âmes, de nous rendre chaque jour plus étrangers à nous-mêmes, à nos proches, en dépit des exercices réguliers et des réminiscences toujours plus laborieuses, effectués sous le regard navré des nouvelles générations, nos remplaçants. Peu étonnant que ce film déplaise : la vieillesse est pour notre époque le seul sujet de scandale et en la mettant en scène, Boyle reste fidèle à l’esprit iconoclaste du punk originel. Comme Renton, nous sommes devenus des « touristes de notre propre jeunesse », tâchant d’oublier, à grands renfort de revivals et de vintage, le temps qui passe et nous accable. Peut-être, Danny Boyle a t-il voulu piéger son propre public ? Nous aurions tant aimé que les personnages de Trainspotting conservent leur vivacité, leur fraîcheur, restent jeunes dans leur tête. Hélas, c’était impossible, nous le savons désormais.


Trainspotting 2 traite également de ce temps collectif et majusculaire que l'on appelait jadis l'Histoire. Et en 20 ans de mondialisation, celle-ci n'a pas chômé. Ce film permet une mise en perspective historique des tribulations de nos amis ce qui le rend émouvant, et bien plus riche d’enseignements que n’importe quel Ken Loach.
C'est la fin d'un monde, celui de la descendance directe du prolétariat britannique, laminé par le néo-libéralisme, dépossédé de sa mémoire. Si certains aspects de la dégradation de sa condition sont évoqués de manière elliptique - notamment l'immigration de masse, presque éludée en une réplique sybilline de Spud (« pourquoi partir ? Je suis le dernier indigène du quartier! »), Boyle s'attarde sur les métamorphoses du monde urbain : centre-villes devenus musées, barres d'immeubles désaffectées dans l'attente de démolition, profusion de buildings en verre, bars lounge... Dans ce nouveau contexte, le devenir du pub, lieu de sociabilité familiale dans le premier Trainspotting paraît le symbole de cette fin d’un monde : désormais seul bâtiment debout au beau milieu d'une friche immobilière, il attend sa reconversion en « sauna », comprendre : en néo-bordel.
Boyle nous présente également la débâcle des hommes, des white male de plus de quarante ans voués aux gémonies par les nouveaux pouvoirs. Ce monde ne tient plus que par les femmes, toutes aussi usées que leurs maris, mais qui assument humblement leurs rôles de passeuses en élevant leur progéniture, et quelle progéniture ! Fils à maman graciles et invertébrés, minets prostrés devant leurs jeux vidéos, ou bien investis corps et âmes en d’ineptes études - « hôtellerie et management » !
L’Histoire est donc toujours cette marâtre, intraitable pour les sans grades et petites gens auxquels elle n'offre pour tout avenir, en ses périodes fastes, que la fosse commune ; en ses moments apaisés, le chômage de masse, le pain et les jeux - demain, le revenu universel et la drogue légale…

https://www.youtube.com/watch?v=qLgrTk7Gr38Trainspotting reste le film d'une génération, celle qui, ayant eu 20 ans en 1995, en parfaite cocue de l'Histoire, aura gâché sa jeunesse à regarder passer les trains, coincée entre le lyrisme envahissant des soixante-huitards et la muflerie 2.0 de ses cadets. Trop lucide pour adhérer à son époque mais trop ricanante et avachie pour lui opposer quoi que ce soit de valable. Une génération perdue, quelques vies pour rien. Renton, Sick Boy, Spud, Begbie, chacun pourraient faire sienne cette réplique d’un roman classique, qui ne sera donc jamais culte – et encore moins vintage, réplique qui signe l'échec d’ une existence : « C'est là ce que nous avons eu de meilleur! »

François Gerfault

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