dimanche 21 octobre 2012

Les larmes d'Europe (1)




            A qui s’adresse l’ouvrage d’André Waroch Les larmes d’Europe[1] ? Pour pasticher quelque peu le Bernanos des Grands cimetières sous la lune, ce livre ne s’adresse pas aux gens de droite auxquels il n’a rien à dire qu’ils ne sachent déjà. Mais il ne s’adresse pas non plus aux gens de gauche rencognés dans leurs confortables certitudes. C’est dans le vaste entre-deux des indécis qu’il pourrait au contraire aller chercher son vis-à-vis, dans la masse anonyme des tièdes qui ne prétendent pas exactement savoir où les mènent leur époque mais que l’absence de capitaine à la barre angoisse tout de même. Ce n’était peut-être pas l’idée d’André Waroch mais après tout son livre publié ne lui appartient plus tout à fait et va bien là où il veut.
            Cela ne veut pas dire bien sûr que les hommes de droite ne trouveraient pas matière dans ce petit livre à remettre en cause quelques certitudes et quelques poses faciles mais beaucoup balaieront sans doute ces critiques d’un revers de la main. Quant aux hommes de gauche, ils ne liront sans doute jamais ce livre. Ce n’est pas aux convaincus et aux enracinés que doit s’adresser le pamphlétaire mais aux indécis et aux apatrides. Or les certitudes aujourd’hui s’effondrent et nous n’avons plus de patrie. C’est donc à un public potentiellement important que se destine l’ouvrage d’André Waroch.
            Expliquons tout de suite ici les termes employés pour ceux qui feraient mine de ne pas comprendre et précisons que l’emploi du terme « patrie » ne renvoie pas à un cocardisme borné et claironnant mais fait référence à la disparition conjointe, consentie par les gouvernants et subie par les peuples, de toute idée de patrie culturelle (et l’on comprendra ici que l’expression renvoie plus à Mounier qu’à Déroulède) et de toutes les institutions qui pouvaient garantir sa pérennité et sa préservation, au profit de cette fiction impériale et bureaucratique qu’est l’Union Européenne.
            Face au spectre géopolitique européen se dressent aujourd’hui quelques Etats qui entendent eux, mener une véritable politique de puissance, entendons par là, pour préciser encore une fois les termes, une politique qui n’est pas fondée sur un universalisme béat et une forme de libre-échange vertueux auquel les Européens semblent bien être les seuls à croire mais sur une prise en compte de la réalité géopolitique et des intérêts nationaux. C’est le cas par exemple des Etats-Unis d’Amérique dont on se demande comment certains ont pu soutenir qu’ils aient pu être réellement dérangés par une construction européenne au nom de laquelle des « pères de l’Europe » de plus en plus gâteux dépouillaient consciencieusement les Etats du continent de toute capacité décisionnelle. Le mépris affiché par l’administration d’Obama à l’égard de l’Union européenne démontre cruellement quelle place est laissée aujourd’hui au « Vieux continent » sur la scène internationale. L’Amérique elle-même vacillante et menacée se montre beaucoup plus soucieuse de l’émergence de l’Inde, de la Chine et de la Russie que de cette Europe qui s’est exclue de l’histoire. Waroch souligne fort justement que les deux Etats qui en Europe semblent encore aujourd’hui soucieux et capables de mener une politique cohérente et indépendante sont le Royaume-Uni et la Russie, deux vainqueurs de la seconde guerre mondiale. Le traité de Rome a lui été signé par la France, l’Allemagne, l’Italie et le Bénélux : autant dire que la communauté européenne a été construite dès ses débuts uniquement sur la honte, le vice et la défaite.
            Les pères de l’Europe ont souhaité baser la renaissance du continent sur la création du marché commun et ils ont réussi au-delà de tout espoir puisque l’Europe n’est plus aujourd’hui qu’un marché que ses concurrents regardent avec anxiété, indifférence ou mépris se noyer dans le gouffre des dettes souveraines. Encore faut-il souligner que l’adoption le 9 octobre dernier du Traité Européen de Stabilité Budgétaire ne laisse plus grand-chose de souverain à ces dettes-là. Pauvres pays qui ne valent pas mieux désormais qu’une collection de ballons de baudruches accrochés à la manche d’un clown ! Le seul acteur international qui semble encore prêter une certaine attention à cette Europe en perdition est le monde arabo-musulman, si tant est que l’on puisse identifier comme un acteur cet ensemble hétéroclite sans aucune unité politique ni aucun ferment de cohésion autre que le ressentiment.
            J’ai eu l’occasion sur ce blog d’évoquer la thèse d’Hans Magnus Enzesberger[2] qui associe la civilisation arabo-musulmane contemporaine à la figure du perdant radical et un certain nombre d’articles présenté dans Les larmes d’Europe font écho aux écrits de l’essayiste allemand. Si l’on peut situer l’apogée de la civilisation musulmane à la période du califat qui va du VIIe au XIIe siècle, c’est-à dire des Omeyyades aux Seldjoukides, Enzesberger estime que le souvenir de ce brillant mais lointain passé ne fait que renforcer les traits qui caractérisent aujourd’hui un monde arabo-musulman divisé et impuissant : névrose victimaire, délire obsessionnel de la persécution, agressivité vis-à-vis de l’extérieur, dogmatisme rigide sur le plan religieux et incapacité politique. André Waroch va cependant plus loin qu’Enzesberger en soutenant que l’islam lui-même est la cause du déclin et de la médiocrité contemporaine des sociétés arabo-musulmanes.
            Il faut faire ici une place aux critiques que l’on oppose la plupart du temps à ce type d’argument : d’une part l’islamisme n’est pas l’islam et d’autre part les sociétés arabo-musulmanes présentent des traits variés et une complexité qu’il est difficile de caricaturer par des jugements aussi lapidaires. On serait donc en droit d’attendre une sorte de « pacification » des sociétés musulmanes ou des musulmans immigrés qui se trouvent plus directement mis en contact avec les valeurs républicaines. A cette dernière critique, André Waroch répond de façon radicale : « Le manque total de réaction, voire la complicité face à la déferlante migratoire qui a déjà submergé les Français des banlieues, est dû à cette foi absurde, stupide, irrationnelle comme toute foi, en la capacité des nations européennes à faire triompher à terme l’idéologie des Lumières, à convertir les populations islamiques à ce christianisme sécularisé. Mais la vérité finit tout de même, peu à peu, par se révéler dans toute sa violence. Non, les musulmans ne se convertiront pas. Il n’y aura aucun « islam des lumières », aucune réforme. »[3] Pour Waroch, cette évidence est rappelée par la structure millénaire imposée à toute la société musulmane de façon millénaire par la relation entretenue avec les textes sacrés :

Les musulmans, en effet, vivent dans une espèce de paradis sur terre, ou pour être plus précis : dans un monde fini. Toutes les questions que peut se poser un homme trouvent leur réponse dans le Coran et les hadith. Gare à celui qui oserait donner une autre réponse. L’islam, et c’est là où ce totalitarisme est réellement une œuvre de génie, régente absolument tous les aspects de la vie. […] On a coutume de dire, ces dernières années, que le problème du monde musulman est qu’il ne s’y trouve pas de séparation entre le sacré et le profane. C’est en même temps vrai et complètement faux. La vérité est plutôt que, dans la conception islamique, le profane n’existe pas. La société musulmane est condamnée à une fixité éternelle, la pensée personnelle étant, dans les faits, rigoureusement interdite. Revenons à l’école française. N’importe quel prof de banlieue enseignant ces matières sait que, dans le domaine de la philosophie, de l’histoire ou de la littérature, il va s’attirer les foudres des élèves musulmans. Tartuffe, Cyrano de Bergerac, Madame Bovary, la pensée épicurienne, pour ne donner que quelques exemples emblématiques, sont déclarés par ces élèves, comme impurs, haram, et ce en total accord avec l’islam officiel. Trop de sexe, trop d’athéisme, trop de ceci, trop de cela. Rimbaud et Baudelaire homosexuels ? Impensable pour les musulmans d’accepter d’étudier ces deux poètes.[4] 

A l’appui de cette thèse, André Waroch cite Guillaume Faye. Ce n’est pas forcément le choix le  plus pertinent qu’il puisse faire, d'autant que la longue citation de Faye ne fait que répéter son propos sans rien y ajouter de très intéressant. Préférons lui plutôt Olivier Roy qui, dans son ouvrage La Sainte Ignorance, a proposé une analyse autrement plus subtile du mécanisme de séparation du sacré et du profane en terre d’islam :

Trois positions sont alors possibles pour la religion : penser la culture comme profane, séculière ou païenne. Profane, c’est la culture indifférente au religieux : elle est triviale, inconsistante et subalterne parce que, si elle n’est pas habitée par l’esprit de la foi, son autonomie est une illusion. […] Séculière, c’est la culture non religieuse mais légitime : elle accède à la dignité et acquiert une légitimité et une autonomie, mais cette dernière est fixée par le religieux, car elle relève de la bonne gestion de la société, pas des fins dernières ; […] Païenne, la culture peut se réclamer d’une étiquette religieuse, mais antinomique avec la religion dominante : la culture est consistante et cohérente mais elle est porteuse de valeurs (par exemple la liberté absolue de l’homme, la sacralisation de la nature ou d’un groupe social) qui non seulement s’oppose aux valeurs religieuses mais prennent leur place. […] Cette configuration n’a guère à voir avec la théologie propre à telle ou telle religion. On la trouve bien sûr fortement exprimée dans le christianisme, d’ailleurs avec des valeurs et des répartitions différentes selon les penseurs […]. Mais on la trouve aussi, contrairement à ce que beaucoup pensent, dans l’islam. Le profane y est pensé dans la zone grise entre hallal et haram : mandub (recommandé), makruh (déconseillé) et surtout mubah (neutre), trois catégories qui, sans avoir de vraie positivité, échappent à la norme religieuse.[5]

Les choses sont donc un peu plus complexes au sein de l’islam qu’André Waroch ou Guillaume Faye veulent bien le laisser entendre. Cependant, je comprendrais fort bien que ces auteurs veuillent m’accuser de couper ici les cheveux du prophète en quatre et de vouloir discuter du sexe des anges au moment où la cité brûle. Car il s’agit bien également de cela et en dépit des réserves que je voudrais émettre vis-à-vis de l’analyse de Waroch, il faut cependant bien admettre que la pensée dominante qui s’est imposée dans l’islam contemporain est bien la lecture et l’interprétation la plus « à la lettre » (et je reprends ici les termes qu’emploie Olivier Roy[6] pour qualifier l’interprétation faite par les groupes évangélistes de la Bible) du Coran et des hadith qui mène à un véritable formatage de la pratique religieuse au sein de la communauté musulmane : « la mondialisation standardise et formate le religieux, elle conduit à le penser dans des catégories communes qui s’imposent aux croyants. »[7] Ce formatage amène à un repli sur la catégorisation simple et guerrière énoncée par Mahomet aux premiers temps de la conquête : le monde est divisé entre le Dar-al Islam, « le pays de la soumission » - celui des croyants – et le Dar-al Kufr, le « domaine des infidèles », terme que Mahomet utilisa pour désigner dans un premier la société impie de la Mecque au moment de la fuite à Médine. Le Dar-al Kufr aura par la suite tendance à se confondre avec le Dar-al harb, notion juridique postérieure à Mahomet et désignant de façon plus large le « domaine de la guerre », c’est-à dire tout ce qui se situe en dehors de la communauté musulmane et contre quoi il est obligatoire pour le croyant de porter le fer et le feu.
            Cette obligation guerrière a été remise en avant de façon radicale par les pères de l’islamisme moderne, du wahhabisme ou du salafisme, ainsi Sayyid Qutb qui appelle à : « Une guerre totale, un jihad [qui] doit être mené contre la modernité afin d’entreprendre un réarmement moral. L’objectif ultime est le rétablissement du royaume d’Allah sur terre. »[8] Cette affirmation justifie à elle seule la position d’André Waroch même si celle-ci s’appuie sur une interprétation trop schématique des relations théologico-juridiques et théologico-politiques au sein de l’islam.
            Car c’est tout simplement ce schématisme qui est victorieux au sein de l’islam. Même si les bonnes âmes (et j’en suis !) peuvent répliquer à bon droit que la réalité est plus complexe, on aura beau dire mais ce n’est jamais la subtilité qui arme les révolutions ni le sens de la nuance qui inspire les conquêtes. L’islam « visible » aujourd’hui est bien plutôt celui de Saayid Qutb que celui des soufis. C’est, en France, celui des petites racailles qui ont enfilé la djellaba par-dessus le survêt’ et sont passés de Booba aux slogans virils de l’islamisme pour aller vociférer en chœur quand un réalisateur de porno californien caricature Mahomet ou qu’un artiste marocain inconscient commet un blasphème en projetant les motifs calligraphiés de la chahâda sur un pont toulousain.
            Faut-il considérer comme André Waroch que l’islam est un totalitarisme par nature ou, comme Ibn Waraq l’écrit, qu’ « il existe des musulmans modérés mais [que] l’islam en lui-même n’est pas modéré. Tous les principes qui inspirent les extrémistes viennent du Coran, de la Sunna et des Hadith. L’islamisme est une construction totalitaire édifiée par des juristes musulmans sur la base des textes fondamentaux de l’islam »[9] ? Faut-il croire, au contraire de ce qu’écrit Waroch, que l’américanisation de la société a plus à voir avec ce formatage des esprits que les textes sacrés de l’islam dont l’interprétation n’est après tout tributaire que de la tradition intellectuelle, riche ou médiocre suivant les époques, qui la prend en charge ? Faut-il se demander encore avec Olivier Roy : « ce formatage n’est-il pas tout simplement le résultat de la domination culturelle du modèle nord-américain ? »[10] Pour reprendre le mot d’un humoriste et ventriloque américain contemporain : « la réponse à cette question est : on s’en fout. »[11]
Peu importe en effet que ce formatage d’une pensée religieuse, qui exclut tout débat théologique et sacrifie la quête spirituelle au profit d’un prosélytisme guerrier qui n’est plus tant religieux que politique, soit le fait de l’américanisation des nouvelles générations de croyants ou trouve ses racines dans le message même délivré par le Coran, il reste qu’aujourd’hui c’est cette violence et cette agressivité qui constituent la partie visible et active de la société musulmane et qui, en France, associées au phénomène de l’immigration de masse, autorisée par l’intéressement et l’irresponsabilité des gouvernements qui se sont succédés depuis quarante ans, nous confrontent directement à une situation si explosive que sa dangerosité ne peut plus être contestée même par les plus angélistes des observateurs.

(A suivre...)



[1] André Waroch. Les larmes d’Europe. Le Polémarque. 2010
[2] Voir : Hans Magnus Enzesberger. Le Perdant Radical. Gallimard. 2006
[3] André Waroch. Les larmes d’Europe. Editions Le Polémarque. 2010. p. 73
[4] Ibid. p. 82-83
[5] Olivier Roy. La Sainte Ignorance. [La couleur des Idées]. Seuil. 2008. p. 46
[6] Ibid. p. 25
[7] p. 42
[8] Cité dans E. Sivan. Radical Islam. New Haven. 1985. p. 25. Voir : Ibn Waraq. Contre l’Islam militant. Revue Politique Internationale n° 95. Printemps 2002. p. 257
[9] Ibn Waraq. Contre l’islam militant. p. 254
[10] Oliver Roy. La Sainte Ignorance. p. 42
[11] Voir les aventures de Triumph, the insult dog, martyrisant de malheureux geeks américains :
-          Dans quel matière le corps de Han Solo a-t-il emprisonné par Jabba the hut ?
-          (réponse collégiale) : LA CARBONITE !!
-          Erreur ! La réponse correcte est : on s’en fout !



2 commentaires:

  1. Pfiou ! J'ai eu l'impression de lire du maivais Elisabeth Lévy (pléonasme).
    Arguments bancals, raisonnement abscons : c'est simplement affigeant !

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  2. Et attendez de lire la suite, c'est encore pire, même Elisabeth Lévy serait écoeurée. Vous risquez d'être à court d'adjectifs.

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