jeudi 6 juin 2013

Nicolas Winding Refn, cinéaste post-fasciste




         Depuis les deux réalisations d’anthologie que sont Bronson (2009) et Valhalla rising (2010), le danois Nicolas Winding Refn se pose comme une figure marquante, et désopilante, du cinéma contemporain. Des films quasiment muets, une esthétique rétrofuturiste, un symbolisme désuet, une musique électronique entêtante, et des personnages fantasmatiques qui se débattent dans un monde de pure violence.

         Ses deux derniers films, Drive et Only God Forgives, suivent la même voie à cette différence que les loups solitaires se débattent désormais dans une société déchirée, sans repère autre que le mal qui transpire de toutes parts. Ryan Gosling incarnant la figure de l’ange tombé du ciel, en quête d’une rédemption improbable. C’est dans cette atmosphère décadente que des guerriers perdus livrent leur ultime bataille, pour se sauver par la mort volontaire.



                                        



         Des films post-fascistes ? Assurément, si l’on convient que l’expression « post-fascisme » renvoie au dernier essai de Julius Evola, publié en 1964 sous le titre Chevaucherle tigre (« Orientations existentielles adaptées à une époque de dissolution »). Le penseur italien, qui a navigué dans les eaux troubles des fascismes européens, est tout heureux de retrouver au sortir de la guerre, en 1945, une jeunesse prête à en découdre avec le monde moderne. Référence incontournable du néofascisme contemporain, il se détache finalement de tout engagement politique afin de promouvoir le détachement spirituel. Et théorise ce choix sous le nom d’apoliteia : il appartient à l’« homme différencié » de se rendre étranger au monde moderne pour se donner sa propre loi. Et, dans l’atmosphère crépusculaire de ce monde, il doit s’éprouver au contact des poisons de la société afin de les transformer en remède – sens de l’expression tantrique « chevaucher le tigre » –, et vivre chaque jour comme si c’était le dernier. Ainsi deviendra-t-il un « homme différencié » (de la masse) pour qui la contemplation de la mort vaudra refuge ultime.





         Ce sont justement ces hommes, comme « libérés » du monde et toujours au bord de l’abîme, que Nicolas Winding Refn met en scène. Du point de vue de l’atmosphère d’abord. Ses deux derniers films se déroulent dans des mégalopoles (Los Angeles et Bangkok) prises dans un flux d’images esthétisantes, et déshumanisantes, comme dans une publicité pour produits de luxe. Les hommes, devenus étrangers à eux-mêmes, se glissent dans les méandres d’un ordre social pulvérisé. L’action ensuite. Le débordement de violence n’est que la conséquence d’une société sans fondement autre que le compte à rebours qui s’égrène inéluctablement. Et la violence, parodique et grotesque, prend les atours du cinéma gore. Les loups solitaires s’y déchaînent. Il n’y a pas de sens. Le style enfin. Dans ce carnaval expérimental, le héros est celui qui se donne sa propre loi, son code d’honneur, au-delà du bien et du mal. Et qui défend une cause, quelle qu’elle soit, pour donner sa vie en sacrifice. Ainsi, il se sauvera de l’enfer du monde moderne – « sauver » au sens premier du terme, quitter, partir, s’enfuir d’un endroit. C’est tout.

         Le post-fascisme comme initiation sauvage, avec les mots d’Ernst Jünger sous la main : « Le rebelle a été banni de la société, tandis que l’anarque a banni la société de lui-même »[1], et les images de Refn sous les yeux. Choc garanti.









[1] Ernst Jünger, Eumeswil, Paris, Gallimard, 1978, p. 205.

3 commentaires:

  1. J'apprécie cette analyse mais, pour parler simplement, autant j'ai beaucoup aimé les premiers films de ce réalisateur (Pusher, Le Guerrier silencieux (Valhalla Rising), Drive, autant je rejette complètement Only God Forgives, qui, pour moi, représente ce nouveau "cinéma" décadent qui d'ailleurs n'a plus grand rapport avec le 7ème art.

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    1. de Discipline IDF :
      Idem. J'ai apprecié Pusher, j'ai aimé Driven j'ai adoré Le gerrier silencieux... mais la violence esthetisante gratuite de Only God Forgives m'a laissé de marbre.

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  2. En effet, je partage également vos avis : Only God Forgives est assurément le moins bon (parce que le plus caricatural) des films de Refn. Il nous reste à attendre le prochain, The Neon Demon, pour savoir si la période Pusher/Bronson/le guerrier silencieux (je mettrai également un petit bémol sur Drive) est définitivement close. On peut également jeter un oeil à une copie de Refn (réalisée par Gosling) que je n'ai pas trouvé si mauvais que cela même si, là encore, on en fait des tonnes : http://idiocratie2012.blogspot.fr/2015/06/lost-river-film-crepusculaire.html

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