mardi 6 novembre 2012

Kill the poor




        Aujourd’hui, dans le Nouvel Obs, on joue à se faire peur avec la droite américaine. C’est un exercice assez commun en réalité. La plupart du temps, quand les médias français s’intéressent aux Etats-Unis, c’est pour coller un type devant un agrandissement de carte postale de Manhattan qui clame fièrement : « Ici, en direct de Niouillorque !!! », ou alors pour dévoiler au public français les accointances idéologiques répugnantes de la droite américaine (non pas celle-là, l’autre droite). Donc aujourd’hui, c’est Ayn Rand qui prend la relève de Samuel Huttington (rappelez-vous, Le choc des civilisations, le discours de G.W. Bush sur les Rogue-states, que de souvenirs…) et c’est Nicole Morgan qui se charge de lui tirer le portrait.
Première question : qui est Nicole Morgan ? Réponse : c’est une philosophe et sociologue qui a notamment publié Le manuel de recrutement d’Al Qaïda et Haine froide. A quoi pense la droite américaine ? aux éditions du Seuil. On ne serait pas surpris de la trouver aussi derrière le scénario de Alien vs. Predator mais bon on ne va pas commencer à être mauvaise langue…
Deuxième question : qui est Ayn Rand ? Réponse : Ayn Rand (1905-1982) est une philosophe et écrivain d’origine russe et naturalisée américaine. Anticommuniste farouche, athéiste convaincue et rationaliste indomptable, elle est devenue l’idole littéraire du mouvement libertarien, un peu comme si Christine Angot s’était mise à lire Stirner et à se coiffer comme Judith Butler en vénérant Bernard Tapie. Elle professe un « égoïsme rationnel » qui en fait une théoricienne de l’individualisme et est en général bien peignée sur les photographies.
Troisième question : faut-il avoir peur d’Ayn Rand ? Dans son ouvrage La Grève[1], qui semble être devenu culte. Ayn Rand met en scène des chefs d’entreprises en pleine crise d’adolescence. Puisque l’Etat leur vole tout, ils décident de bouder et de ne plus rien faire, comme ça vous verrez bien, vous serez bien contents, nananère…On ne la faisait pas comme ça à Ayn Rand et elle nous explique notamment dans son ouvrage phare que l’Etat n’est finalement qu’un moyen de mettre à la tête de nos sociétés un paquet de voleurs, de menteurs et d’assassins qui ont pour fonction de nous voler, de nous assassiner et de nous mentir afin de nous empêcher nous-mêmes de voler, d’assassiner et de mentir. Jusqu’ici tout va bien, on était au courant. Ce qu’on savait moins c’est que, quand l’Etat disparaît la concorde et l’harmonie apparaissent naturellement entre les êtres humains guidés par le consentement mutuel et la recherche de l’intérêt individuel qui ne peut s’obtenir que par le biais de la collaboration et de l’entente, concourant ainsi indirectement à l’intérêt général. J’ai déjà lu ça quelque part…Ah oui, chez Adam Smith ! Et est-ce que ça fonctionne bien dans la réalité ? Oh, à peu près autant que Karl Marx…
Chez Ayn Rand, les hommes d’élites, les entrepreneurs courageux, les inventeurs géniaux, les artistes avant-gardistes finissent par en avoir marre de la mainmise de l’Etat corrompu qui les empêche de créer et d’innover en rond. Du coup ils plaquent tout et vont boire des coups entre aristoï, au bar du coin chez Platon qui paye sa tournée à tous les grévistes de l’excellence. Il faut donc rassurer Nicole Morgan en considérant Ayn Rand pour ce qu’elle est : un auteur de science-fiction. La lecture de ses textes ne va pas inciter les républicains à exécuter tous les pauvres en cas de victoire aux présidentielles pas plus qu’elle ne va amener Paul Ryan ou Mitt Romney à supprimer l’Etat et à placer les Etats-Unis sous le contrôle des mégacorporations (que Romney ou Obama soit élu ne change d’ailleurs pas grand-chose à ce niveau…). Ayn Rand est une manifestation un peu folklorique et pas vraiment passionnante sur le plan littéraire (c’est à peu près du niveau de Paulho Coelho quoi) d’un courant intellectuel qui a produit des auteurs bien plus pertinents et des analyses plus fines que celles qui sont proposées dans La Grève. L’américain moyen lui n’a pas attendu Ayn Rand ou les libertariens pour savoir qu’il n’a pas besoin de l’Etat pour défendre son carré de propriété privée.





[1] Publié seulement en 2011 en France. Voir la critique du journal Contrepoints : http://www.contrepoints.org/2011/08/03/37958-atlas-shrugged-en-librairie-le-22-septembre-2011

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