samedi 23 mars 2013

Habemus papam




            La réflexion sur le pouvoir a bien sûr été symboliquement placée au centre des premiers gestes et des premières réflexions proposées par le nouveau pape. Le choix même de son patronyme l’illustre même au-delà de tout. François, défenseur de la pauvreté évangélique bien sûr, qui vaut à ce nouveau pontife des villas miseras de Buenos Aires le surnom médiatique de « pape des pauvres ». Mais aussi François, celui qui a choisi de renoncer, au XIIIe siècle, tout d’abord à ses rêves d’aventures militaires puis à ses biens matériels afin de fonder l’ordre des franciscains, qu’il abandonnera ensuite à son compagnon Pierre de Catane pour pouvoir entrer dans le recueillement. Quel plus bel hommage à son prédécesseur aurait pu choisir de formuler François le nouvel arrivé à Benoit XVI, celui qui a décidé de renoncer au pouvoir et aux responsabilités qu’il impose pour laisser la place à un autre ?

           L’élection du nouveau pape a donné lieu bien sûr aux manifestations habituelles d’anticléricalisme primaire couronnées par les stupides, une fois de plus, frasques des Femen, spécialistes de la provocation calibrée et topless. Cette élection cependant a donné lieu également, a un déluge, encore plus important encore, de niaiserie médiatique, elle aussi très calibrée. Dans un monde livré au règne constant du spectacle, il est évident que toute autorité devient elle-même un objet de spectacle. Celui-ci n’a cependant pas grand-chose à voir avec la grandeur d’apparat et l’illusion nécessaire entretenue par tout pouvoir dont parle Blaise Pascal. Le pape François a été intronisé immédiatement par le cirque médiatique « pape des pauvres », « prélat des bidonvilles », chantre de la tolérance universelle et grand bisounours ecclésiastique. Il importe pour beaucoup que le nouveau pape François soit un progressiste, ou du moins le devienne, s’il ne l’était pas avant. L’ère Ratzinger et le discours de Ratisbonne sont encore, on le sent, douloureusement présents dans les mémoires et le grand cirque exige désormais un pape qui rassemble, un pape qui bouscule la hiérarchie du Vatican mais un pape consensuel aux yeux de l’autre hiérarchie: la Très Sainte Eglise d’Ilfautvivreavecsontemps et de la Modernité libérée. Le choix du patronyme du fondateur de l’ordre des Frères Mineurs par José Mario Bergoglio devrait pourtant inciter à la prudence ceux qui se réjouiraient d’avoir trouvé un deuxième François le Normal dans le nouveau pontife. Saint-François d’Assise a en effet abandonné ses biens et vendu le commerce de son père pour « réparer son Eglise en ruine. » Assigné en justice par son propre géniteur, il s’est dépouillé de tous ses biens, jusqu’à ses vêtements, forçant l’évêque d’Assise a venir recouvrir sa nudité de sa cape.
            Ainsi, le choix de François est-il un hommage à celui qui a su abandonner le pouvoir pour revenir à la simplicité du recueillement mais c’est aussi la reconnaissance d’une lourde responsabilité, « réparer l’Eglise en ruine. » En se revêtant de la cape du pontife, José Bergoglio devenu François a peut-être eu soin de mettre en avant un idéal de simplicité évangélique mais il endosse aussi la lourde responsabilité de bâtisseur – ou de rebâtisseur -  qui est celle de l’apôtre Pierre. La tradition jésuitique, son exigence spirituelle tout autant que sa finesse politique, semble déjà à l’œuvre en ce début de pontificat à travers le choix de la seule citation qui illumine l’homélie de François qui est un simple mais très clair rappel de la réalité du mal :

« Celui qui ne prie pas le Seigneur, prie le diable. »


          Une telle phrase à elle seule dénonce l’irresponsabilité goguenarde, la neutralité bienveillante et le matérialisme nonchalant qui forment le pain quotidien de nos sociétés jouisseuses, dans lesquelles la satisfaction de tous les désirs est une religion et le cynisme une liturgie. Cette petite phrase dit très simplement, aux chrétiens comme à tous les autres, qu’il n’y a pas d’entre-deux, que l’on ne peut prétendre se prémunir du mal en ne servant que soi et que la neutralité, une sorte de zone grise entre le bien et le mal protégée par le mirage de notre liberté absolue, n’existe pas. Par cette simple phrase, François a peut-être déjà répondu aux accusations portées contre José Bergoglio. Nos actes ont toujours des conséquences potentiellement terrifiantes et imprévues et si les sociétés dans lequel nous vivons, du moins de ce côté-ci de la planète, s’efforcent le plus possible de nous maintenir dans l’assurance réconfortante que nous sommes simples spectateurs, l’existence se charge toujours de nous rappeler à un moment ou à un autre le rôle insignifiant et terrible qui nous est réservé.




[1] Jacques MARITAIN. « De la guerre sainte. » N.R.F. Juillet 1937. p.21. Maritain réutilise ici une citation de Paul Claudel, tirée du Soulier de Satin, pour dénoncer le soutien accordé par l’Eglise et des catholiques aux franquistes. En réaction aux exactions perpétrées contre des religieux par des groupes anarchistes (les fameux « déterreurs de Carmélites ») proche du Frente Popular, Claudel avait applaudi la tentative de coup d’Etat et la rébellion franquiste et avait rendu hommage « Aux martyrs d’Espagne » dans le poème du même nom oublié dans L’Aube en 1937. Maritain retourne en citant Claudel l’argument que l’auteur du Soulier de Satin  avançait pour justifier la « Guerre Sainte » des franquistes. Pour Maritain, le Christ ne grandit pas à l’ombre de l’épée. Prenant connaissance de la réponse de Maritain, Claudel concluera : « Depuis longtemps, le doux Maritain me galope sur le système. Voilà où conduit le snobisme, le goût de la réclame, le mauvais français et les sympathies surréalistes. » [Gérald Antoine. Paul Claudel ou l’enfer du génie. Paris Robert Laffont. 1988. p. 284]

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