mardi 13 novembre 2012

Quelques idées reçues sur la révolution française

   Cette semaine, le professeur du dimanche (Hipstagazine/Apache!) nous propose une lecture revigorante de la Révolution française. Nous la complétons par une belle conférence de l'historien Henri Guillemin qui tend à réhabiliter l'oeuvre de Robespierre.





Loin de l’image consensuelle qui présente 1789 comme une victoire du peuple sur la tyrannie, nous voudrions ici lever un coin de voile et ainsi proposer quelques éléments de réflexion. 

La Révolution française est certes très complexe au vu des nombreux acteurs et idéologies contradictoires qui la traversent ce qui ne nous empêchent pas cependant de circonscrire des courants dominants qui vont façonner l’histoire dont nous sommes encore les héritiers. 1789 est tout d’abord un esprit dont la matrice idéologique a été façonné par les encyclopédistes. Parmi eux nous retrouvons notamment Voltaire et Diderot, les BHL et Attali de l’époque.  Connus pour leur combat pour la liberté de conscience contre le pouvoir de l’Eglise, leurs idées politiques se réduisent à la défense des intérêts bien compris d’une classe. Ainsi Voltaire, dans son Essai sur les mœurs pouvait écrire : «  un pays bien organisé est celui où le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne. » Quant à Diderot, il affirme dans le chapitre « représentant » de l’encyclopédie que seuls les propriétaires sont légitimes pour être députés. En somme, toute l’histoire de la révolution française va être la constitution de la confiscation du pouvoir par une classe et une élite de représentants contre le peuple et la notion même de démocratie. Le rôle du peuple, et particulièrement de la paysannerie, ne peut être négligé comme l’a montré Kropotkine dans son ouvrage aussi monumental qu’occulté La grande révolution[1], mais il est le grand vaincu de cette histoire. Il est intéressant de revoir ici quelques faits.

Tout d’abord le mythe de l’abolition des droits féodaux, qui nous ferait croire que les aristocrates décident eux-mêmes de renoncer à leurs privilèges.

L’idée est belle et on y croirait presque.  La nuit du 4 août 1789, au vu de la situation quelque peu préoccupante dans le pays, les aristocrates décident de calmer le jeu. Le duc d’Aiguillon monte alors à la tribune pour déclarer que l’aristocratie est prête à renoncer à ses droits féodaux. Tous les journaux reprennent alors la nouvelle dès le lendemain avec enthousiasme. Seulement, lorsqu’on regarde le texte de plus près, on constate une petite condition qui a son importance : « Nous sommes prêts à envisager de renoncer à nos droits féodaux si on nous les rachète au denier trente ». Autrement dit, c’est seulement lorsque le paysan aura payé trente annuités de droits féodaux qu’il pourra en être exempté. Nous avons ici la formulation du droit formel (découplé de toute capacité réelle) dans toute sa splendeur, où l’on voit qu’une partie de l’aristocratie est déjà contaminée par l’idéologie bourgeoise. L’abolition réelle des droits féodaux aura lieu en juillet 1793. C’est dans cette perspective de la formalité des droits qu’est proclamée la déclaration des droits de l’homme : les noirs des Antilles demeurent esclaves et certains citoyens sont plus citoyens que d’autres : pour pouvoir voter il fait payer une somme équivalente à trois journées de travail, et pour être éligible l’équivalent de cinquante journées de travail.

Le mouvement de 1789 est clairement en faveur des possédants (aristocratie et bourgeoisie) contre le peuple.

Quant à la question politique en tant quel telle, il est fondamental de revenir à Sieyès pour comprendre que la notion même de « démocratie » est bannie d’emblée.

Sieyès tient un rôle de premier plan dans la révolution : célèbre pour sa brochure « Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? » publié en 1789, il rédigea notamment le Serment du jeu de Paume et travailla à la rédaction de la Constitution. L’essentiel tient dans ses propos tenus le 7 septembre 1789, et qui conditionnent encore notre régime :

Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants.[2]

Sièyes, toujours le même, considère qu’il ne peut y avoir qu’une volonté commune et donc qu’une seule association de laquelle résulte la nation. Hors de cette association il ne peut y avoir que des individus isolés et leur intérêt privé. Les associations intermédiaires sont alors considérées comme dangereuses pour l’unité de l’Etat, d’où la loi Le Chapelier, promulguée le 14 juin 1791, qui interdit toute constitution de corporation, et qui va faire le beau jeu de la bourgeoisie notamment en interdisant aux ouvriers de se coaliser. Elle ne sera abrogée que le 25 mai 1864 par la loi Ollivier, qui abolit le délit de coalition, et le 21 mars 1884 par la loi Waldeck-Rousseau, qui légalise les syndicats.

Autre mythe qui vient attester l’identité et l’esprit de ceux qui gouvernent : la France se serait défendue contre les puissances étrangères venues étouffer la révolution dans l’œuf.

Or il se trouve que là encore, pour des raisons économiques, il s’agit bien d’une guerre de conquête initiée par l’Etat français (à laquelle par ailleurs s’oppose Robespierre) Le 14 décembre 1791, Narbonne, le ministre de la guerre, déclare cyniquement à la tribune de la Législative que la guerre est indispensable aux finances : « Le sort des créanciers de l’Etat en dépend. » C’est ainsi qu’est déclarée la guerre à l’Autriche. La bourgeoisie semble cependant un moment dépassée par les évènements : la plèbe commence à se manifester violemment. En 1792 s’ouvre le cycle de la terreur. Le suffrage universel est instauré le 11 août dans un contexte qui n’est pas optimum pour des élections sereines. L’Etat contrôle une grande partie de l’économie. C’est ainsi notamment qu’est instauré un maximum notamment sur le prix des grains et sur les marges. Ces mesures ne sont populaires qu’en partie : autant le salarié se réjouit du maximum sur les prix, autant il regrette que les salaires soient gelés par la même occasion. Suite à une brève période de révolution sociale entachée par la dictature jacobine, les Girondins reprennent le contrôle et s’empressent de remplacer l’écusson républicain adopté en 1792 : « Liberté, Egalité,  Fraternité », dont la dimension christiano-hippie leur déplaisait, par « Liberté, Egalité, Propriété », qui avait le mérite d’annoncer plus clairement la couleur.

La bourgeoisie et sa révolution se présente comme commencement et fin de l’histoire. Faisant table rase du passé elle n’ouvre sur rien d’autre que la relative égalité juridique et la liberté de commerce.

En ce sens en effet, comme le soutient François Furet, la révolution française est terminée mais nous sommes toujours en plein dedans. Il existe cependant une autre manière de l’envisager, comme l’explique le journaliste Odysse Barrot (1830-1907) qui, établissant un parallèle entre la commune de Paris et la révolution française, a bien saisi l’ambivalence de cette dernière et souligné la possibilité d’en sélectionner l’héritage :

En tant que révolution sociale, 1871 procède directement de 1793, qu’il continue et qu’il doit achever (…) En tant que révolution politique, au contraire, 1871 est réaction contre 1793 et un retour à 1789…Il a effacé du programme les mots " une et indivisible " et rejeté l’idée autoritaire qui est une idée toute monarchique…pour se rallier à l’idée fédérative, qui est par excellence l’idée libérale et républicaine.





[1] Disponible en ligne ici : http://www.marxists.org/francais/general/kropotkine/1909/03/kropo.htm
[2] Dire de l'abbé Sieyes, sur la question du veto royal : à la séance du 7 septembre 1789

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