mercredi 23 janvier 2013

Tarantino l'enchaîné




         Tarantino est égal à lui-même : speedé, rigolard, spectaculaire et vide. Son dernier film, Django unchained, ne déroge pas à son talent particulier, et reprend les recettes éprouvées de son savoir-faire. A lire les critiques à la guimauve, toutes dégoulinantes de niaiseries et de moraline, le réalisateur avait (enfin !) atteint la maturité : son film sortait des sentiers battus – entendre ici de la gaudriole tarantinesque – pour toucher du doigt un sujet sérieux : l’esclavage. Diable ! Tout le monde au garde à vous ! Car notre génie américain est sacrément original en la matière : il est totalement contre l’esclavage !

         Rassurez-vous, ô chers lecteurs, il ne s’agit pas ici d’un film à thèse. Et si l’esclavage en est le sujet central, il est passé à la moulinette d’un vieux western « spaghetti » avec giclements de sang, explosions de crâne, dents crades, visages boursouflés et clopes au coin du bec. Il faut vraiment être un critique français pour ne pas comprendre que l’esclavage est simple matière à spectacle : coups de fouets, vengeances cruelles, re-coups de fouet, re-vengeance, etc. C’est d’ailleurs un élégant cow boy, allemand de surcroît, qui se la joue « ami du genre humain » à condition que le pognon rentre et d’en buter un ou deux, au passage, de ces gros cons d’humains. Alors, la belle histoire qui dénonce l’esclavage dans le remake d’un western « spaghetti »... je crois qu'il n'en a jamais été question – sauf pour la promo, bien sûr.

         Bref, le film en lui-même, et pour faire court : 2h45 pétaradantes, éprouvantes et ennuyantes. En même temps, Tarantino ne change pas son fusil d’épaule et défouraille dans tous les sens, mais ses films, au moins depuis Kill Bill, ressemblent à un vaste clip où les séquences s’enchaînent les unes après les autres sans aucune trame directrice. On reconnaît tout de suite son style, innovant à ses débuts (Reservoir dogs et Pulp Fiction) et totalement désuet aujourd’hui. Certes, les inconditionnels y trouveront leurs comptes : 1/ la musique est omniprésente jusqu’à éclipser l’histoire (certaines scènes ne semblent avoir été tournées que pour mettre en images un titre d’anthologie) 2/ la violence omniprésente est désamorcée par un humour potache de plus ou moins bon aloi (Tarantino se faisant lui-même exploser dans une scène ridicule) 3/ les ralentis succèdent aux gros plans pour mieux mettre en lumière les poses, les gimmicks et les grimaces des acteurs. Le tout servi par des élucubrations pseudo-philosophiques qui donnent un peu de style à certains personnages, surtout celui de Christopher Waltz. Pour le reste, tout cela est bien creux…  

Tarantino est devenu le reflet exact de son époque, celle du cynisme rigolard qui recouvre tout de son vide abyssal. Le western dit « spaghetti », et tellement mieux nommé « zapatiste »[1], auquel il devait être rendu hommage est tout simplement défiguré. Il faut se souvenir de la scène inaugurale du Django de Sergio Corbucci – principale source d’inspiration de Tarantino ! – pour comprendre le gouffre qui le sépare de son homonyme américain. Dans ce film de 1966, un vagabond solitaire, incarné par le visage hiératique de Franco Nero, traîne son cercueil dans la boue. L’atmosphère est étrange et étouffante, la violence sourde et radicale, la vengeance cruelle et parabolique et le héros traversé par les épreuves et brûlé par le mal. « Django est un antihéros – écrit Moury – qui souffrira comme le Christ au pied d’une croix et qui ne devra son salut qu’à l’énergie communiquée par la prière, par l’acceptation, la reconnaissance de son statut christique, de martyr d’une religion inavouée dont tous les signes l’entourent »[2]

On n’en demande pas tant à Tarantino. Faire de Django un esclave noir était sans doute une idée intéressante, encore aurait-il fallu sortir de la caricature et donner à ce personnage une réelle épaisseur, une ambiguïté beaucoup plus marquée et, surtout, un second degré et une dérision dont il est totalement dépourvu. Bref, faire de Django un reflet de Franco Nero, trouble et impassible, et non pas une imitation de Charles Bronson, transparent et imbécile. 





[1] Cf. Nicolas Gauthier, « Le western zapatiste. De gauche ou de droite ? Les deux, bien au contraire… », Éléments, n°146, janvier-mars 2013, p. 32-34.
[2] Cité par Michel Marmin, « Django l’européen », Éléments, n°146, janvier-mars 2013, p. 35.





3 commentaires:

  1. Assez d'accord avec vous.

    Malheureusement (à mon sens), l'évolution notable de Tarantino depuis le 1er Kill Bill qui ne fait que s'aggraver de film en film, ne semble choquer personne, bien au contraire :
    http://www.telerama.fr/cinema/films/django-unchained,437329,critique.php
    http://www.lesinrocks.com/2013/01/08/cinema/django-unchained-tarantino-toujours-dechaine-11337841/

    Exit toute forme de sensibilité, bonjour à un cinéma gonflé aux stéroïdes et à l'hémoglobine. Toutefois, ces derniers serait les bienvenus si la présence du premier se faisait toujours remarquer.

    Bref, on n'ira pas dire que Tarantulatino fasse de mauvais films, mais il est passé dans une autre catégorie, spectaculaire.

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  2. Telerama, les Inrocks...Finalement Tarantino est devenu depuis quinze ans un type qui radote adulé par des vieux schnocks...
    Un nouveau film en de Tarantino en gros ça ronronne comme un concert de Dire Straits, c'est engagé comme un discours de Tracy Chapman, anticonformiste comme un clip de Vanilla Ice et choquant comme Michel Jonasz qui jure sur scène. Avec ça on rajoute un peu de ketchup et on a un bon gros hamburger pour le box-office européen et ses intellos ravis.

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  3. Le commentaire suivant nous a été transmis par une lectrice. Il est un beau contrepoint à notre critique, et une belle défense de Tarantino - sans doute, la meilleure que nous ayons lue, et de loin...

    "Pas d'accord chers amis à propos du Tarantino.

    Un grand film restaurateur, réparateur.

    Son message ? Celui de Pinsker aux juifs d'Europe en 1887 AUTOEMANCIPATION !
    Pour le reste, un vrai western, et l'éclat de joie de l'Hercule noir regardant le héros : celui qui agit à notre place, en notre nom, pour que d'être des hommes, nous retrouvions fût-ce en esprit seulement, la fierté. Aristotélicien et distancié. Parfait. Merveilleux retournement du mythe de Siegfried... Rien de ridicule, de l'outrance, certes mais l'art n'est pas la vie et l'hémoglobine du ciné pas le sang des batailles. Un anti Malick mais je tiens celui-ci pour un pur imposteur. Ce Tarantino nouveau, qui rétablit dans la farce, la bouffonnerie l'atroce destin minoritaire, me plaît infiniment. Improbables, délirants, fantasmatiques, Injurious bastard et Django, à mon goût, restent les plus louables efforts contemporains pour témoigner, loin de tout sentimentalisme des erreurs fatales d'un passé qui, hardi petit, détruit chaque jour davantage et nos psychés occidentales et notre monde. Vous jugez ridicule ce que j'estime jubilatoire... Pour les cagoules trop serrées du Klan, pour ce terrifiant Oncle Tom, pour ce Sud faulklérien où l'inculture et la barbarie se paraient du haut nom de civilisation... Sur un seul point je vous suivrais l'acteur noir le mieux côté au box office est aussi le plus nul, mais au fond on s'en fiche juste un nègre à cheval ! "

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