vendredi 12 juillet 2013

L'Egypte ou l'histoire malmenée.(1)

          Les événements qui se sont déroulés ces derniers jours en Egypte démontrent avec la tragédie syrienne que la démocratisation du Moyen-Orient annoncée par les thuriféraires du "Printemps arabe" s'annoncent plus compliquée et hasardeuse que jamais. Nous proposons aux lecteurs d'Idiocratie un petit survol de l'histoire d'un pays complexe et d'un des plus importants acteurs du Moyen-Orient et de l'Afrique. 

          L’Egypte constitue aujourd’hui une puissance régionale majeure à la fois de l’espace méditerranéen, du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Situé à la confluence de plusieurs espaces géopolitiques, ce pays deux fois grand comme la France a connu une formidable expansion démographique en l’espace de cinquante ans, passant de 25 millions d’habitants au début des années 60 à presque 85 millions aujourd’hui. L’Egypte représente une puissance arabe d’une relative permanence par rapport à ses concurrents successifs dans l’histoire, Damas, Bagdad, Téhéran ou Riyad, ainsi qu’un des pôles les plus importants, si ce n’est le pôle intellectuel le plus important, de l’Islam sunnite. Le Nil ancre enfin l’Egypte dans les réalités de l’Afrique noire et confère au pays une profondeur géopolitique en même temps que culturelle, faisant de l’Egypte une véritable puissance continentale dont la fragilité et l’instabilité inquiète toute la communauté internationale, témoignant du rôle essentiel joué par ce pays dans la géopolitique mondiale depuis la fin de la seconde guerre mondiale.




A la fin de l’année 1949, le lieutenant-colonel Gamal Abdel Nasser, fonde le Comité des officiers libres, dans lequel on retrouve de jeunes officiers encore sous le coup de l’humiliation de la défaite face au jeune Etat d’Israël et parmi lesquels on retrouve également le jeune Anouar el-Sadate, 31 ans à l’époque. Issus d’une nouvelle et embryonnaire classe moyenne égyptienne  ou de milieux très modestes (Nasser, né en 1918, est le fils d’un fonctionnaire des postes, Sadate, né lui aussi en 1918, est issu d’une famille pauvre de treize enfants), ces jeunes gradés, qui assignent tout de suite à leur mouvement une portée révolutionnaire, se font les défenseurs d’un nationalisme arabe encore très imprégné par l’Islam traditionnel.


Les conjurés s’appuient aussi sur le fort sentiment antioccidental qui agite le pays et vise une monarchie égyptienne dénoncée comme étant à la solde des puissances coloniales. En janvier 1952, après l’attaque d’une caserne de la police égyptienne par l’armée britannique, qui tente de garder le contrôle du canal de Suez,  des émeutes éclatent au Caire contre la présence occidentale. Le 22 juillet 1952, Nasser et le Comité des Officiers Libres mènent un coup d’Etat qui aboutit au renversement du roi Farouk (qui s’enfuit à bord de son yacht, le Mahroussa, perpétuant une longue tradition de fuite par la mer, depuis Antoine et Cléopâtre àlors de la bataille d’Actium) et à l’ostracisme de l’ancienne classe politique. Anouar el-Sadate déclare à la radio que « des hommes dignes de confiance se sont chargés de la direction des affaires. » Et, en effet, ses hommes  de confiance se chargent d’évincer rapidement les possibles concurrents, à commencer par le vieux parti Wafd (parti de la délégation, créé à la fin de la Première guerre mondiale), écarté du pouvoir, puis par les Frères Musulmans, organisation panislamique, antioccidentale et anticoloniale créée à Ismaïlia en 1928, dont les représentants avaient rejoint et soutenu le Comité des Officiers Libres dans l’organisation du coup d’Etat du 22 juillet. Même si leur organisation n’est pas interdite tout de suite, les Frères, qui refusent de faire partie du nouveau gouvernement,  deviennent rapidement une force d’opposition au nassérisme. En octobre 1954, un accord est conclu avec les Britanniques, qui doivent quitter le canal en juin 1956. L’accord est dénoncé par les Frères, qui trouvent qu’un délai trop long est laissé aux Britanniques. L’organisation islamique met alors sur pied une tentative d’attentat contre Nasser dont l’échec est sanctionné par une violente répression menée à l’encontre des Frères Musulmans. Cette rupture initiale entre le nassérisme et les Frères Musulmans plane encore aujourd’hui sur les événements politiques qui secouent l’Egypte.




La mise en place par Nasser d’une économie planifiée et nationalisée, ainsi que la nationalisation du canal de Suez, a permis à l’Egypte de disposer de ressources nouvelles qui alimente une croissance de 6% par an dans les années 1960, mais elle entraîne aussi la disparition de toute l’élite économique d’avant-guerre et le développement d’une dette dont les effets sont de moins en moins gommés par une aide soviétique parcimonieuse.
En 1970, quand Nasser meurt, Anouar el-Sadate, qui lui succède, rompt avec la politique de son prédécesseur et promeut l’Infitah, politique d’ouverture économique qui va accentuer la libéralisation de l’économie égyptienne. L’heure est aux désillusions avec la nouvelle humiliation militaire infligée par Israël à l’Egypte en 1967 et Sadate va progressivement rapprocher son pays de l’Occident, signant même une paix séparée avec Israël en 1977. Sur le plan économique, la politique mise en place par Sadate s’accompagne d’un désengagement de l’Etat qui favorise la croissance mais pas le développement économique. En effet, privatisation et libéralisation favorisent le développement des secteurs immobiliers et touristiques par exemple, mais l’industrialisation du pays reste toujours insuffisante et le force à importer massivement les biens manufacturés. L’Egypte cesse d’être autosuffisante sur le plan agricole dès 1974, la classe moyenne que l’Etat pléthorique et clientéliste de Nasser avait néanmoins contribué à développer se paupérise rapidement sous Sadate au profit d’une catégorie plus aisée mais beaucoup plus réduite de la population que les Egyptiens surnommeront par la suite les « chats gras » : importateurs, avocats, opérateurs touristiques, courtiers, fonctionnaires, commissionnaires…etc.  Alors que la classe moyenne est en pleine paupérisation et que l’Egypte rurale vit dans la misère, la classe dirigeante se réfugie dans les quartiers très occidentalisés de Zamalek, Héliopolis et Ma’adi). Les privatisations effectuées sur fond de népotisme et de corruption ont profité à une bourgeoisie proche du régime (dont les Frères ne furent pas exempts dans les dernières années du régime).




(A suivre)

4 commentaires:

  1. Merci pour ce panorama très instructif(pour moi en tout cas) de la génèse des "frères(?...) musulmans". Mention spéciale pour la vidéo du discours de Nasser que je ne connaissais pas et qui mérite d'être vue à notre époque. Pour info j'ai trouvé un article intéressant sur les liens entre Occident et "Muslim Brotherhood" qui mentionne notamment l'avènement de Saïd Ramadan...et son fils Tariq. http://www.newenglishreview.org/Jerry_Gordon/How_the_CIA_Helped_The_Muslim_Brotherhood_Infiltrate_the_West/

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  2. 'a marche pas, à copier-coller...

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  3. Merci pour le lien. Il semble bien en effet que les Frères Musulmans aient beaucoup d'amis à l'ouest...

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