dimanche 30 août 2015

Lino Aldani - 37°C Centigrades


La collection ‘Dyschroniques’ des Editions du Passager Clandestin propose depuis quelques années la réédition d’auteurs de Science-Fiction ou d’anticipation en format court, sous forme de nouvelles d’une centaine de pages. Parmi ces pépites oubliées, on trouve Les Retombées de Jean-Pierre Andrevon (1979), Faute de temps de John Brunner (1963), Le Testament d’un enfant mort de Philippe Curval (1978), Un logique nommé Joe de Murray Leinster (1946), Le Mercenaire  de Marck Reynolds (1962) ou La Tour des Damnées de Brian Aldiss (1968). Si l’essentiel de la collection – dix-huit titres – présente des récits marqués par la guerre froide ou la terreur nucléaire, 37 ° Centigrades, de Lino Aldani, fait un peu exception en décrivant un univers d’anticipation dominé par une sorte de totalitarisme doux, à la fois hygiéniste et consumériste. Aldani, auteur prolifique et fondateur de la revue de science-fiction italienne Futuro, au début des années 1960, n’a pas attendu le grand ébrouement de mai 68 pour dénoncer une le dévoiement de l’Etat-Providence, mis au service de la grande distribution, de l’injonction festive et de la médicalisation de la société. Dans l’Italie du futur imaginée par l’auteur, Nico Berti, citoyen de plus en plus désabusé, fait face aux tracasseries constantes que lui cause la toute-puissante C.G.M., la Convention Médicale Généralisée, sorte de Sécu dotée de pouvoirs coercitifs très étendus, capable de vous coller une amende si vous oubliez de prendre votre température ou si vous négligez en avril de ne pas vous découvrir d’un fil.

« Nico ressortit une main, rien qu’un instant, la leva et agita les doigts pour un salut qui se voulait amical. Puis il essaya de filer, de l’air du Monsieur qui n’a rien à se reprocher.
Mais Esposito l’empoigna par le bras :
-         Gilets de corps ?
-         Je suis en règle, déclara le jeune homme.
-         Gros tricot de laine ?
-         Je l’ai mis ! Je l’ai mis !
-         C’est bon, dit sans se démonter le petit homme de la C.G.M. Mais on ne prend jamais assez de précautions, Monsieur Berti. En avril, ne te découvre pas d’un fil ; aussi n’ôtez pas votre pardessus ; il y a une amende. »

Harcelé par le paternalisme dictatorial de la C.G.M., les citoyens n’échappent pas non plus aux sollicitations constantes de la publicité vantant par exemple les Levacars (l’équivalent, on l’aura compris, des voitures volantes de Blade Runner) Roëncit ou Demerces, ou tout autre produit, apparaissant sous toutes les formes – néons, radio, hauts-parleurs, affiches – et à tous les endroits de la ville, qui s’ajoutent aux recommandations constantes du consortium de santé. « Toute personne trouvée sans son thermomètre est passible d’une amende de trois cent quatre-vingt livres », avertit un panneau. « Seuls les pauvres types vont à pied. L’homme qui connaît son affaire roule à 200 dans un Roëncit, le Lévacar des temps modernes », proclame un autre.
Un jour, Nico en a assez de supporter cette dictature des temps modernes et envoie tout balader – conventionnement médical, Lévacar, pardessus et thermomètre – pour, redevenu un homme libre et non protégé par l’Etat et l’industrie pharmaceutique, emmener sa petite amie à la campagne – en conduisant vite et imprudemment comme un véritable italien du temps de Dino Risi – et faire une orgie de repas plantureux, d’alcool consommé sans modération et de siestes crapuleuses dans les prés. L’escapade de Nico et de sa petite amie Doris se transforme en ode à un hédonisme anarchiste, opposé à la jouissance asservie qu’une société hypocondriaque tente d’imposer à tous. Mais bien évidemment, tout ne va pas se passer aussi bien dans le meilleur des mondes libérés pour les deux protagonistes de l’histoire…

Lino Aldani, figure importante de la littérature de science-fiction en Italie, est resté en revanche largement méconnu en France. Avec 37°Centigrades, il anticipe de façon singulière le principe de précaution qui a envahi l’existence de l’homme du XXIe siècle, harcelé par des recommandations incessantes, livré aux injonctions les plus envahissantes des institutions, firmes et associations toujours un peu plus soucieuses de sonder les reins et les cœurs. Pour la modique de 6 €, on peut s’offrir une petite visite en 80 pages du futur cruel et burlesque de Lino Aldani avant de revenir goûter aux paradoxes et aux tracasseries ubuesques de notre présent.


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